Les flammes lui ouvriront la voie, par Marc Pautrel

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Une jeunesse de Blaise Pascal est un roman court très réussi.

Consacré aux trente premières années du mathématicien, philosophe et grand écrivain français – jusqu’à sa nuit de feu – le dernier livre de Marc Pautrel, publié par Philippe Sollers (Gallimard, collection L’Infini), avance par tableaux, fulgurances, intuitions majeures, à la façon d’un allegro vivace.

La mort règne, mais aussi le génie qui est un renversement des forces.

Par les mathématiques, Blaise Pascal fait de la magie noire.

Rencontre avec un auteur pour qui le vide est moins de l’ordre de l’effroi que de la volupté.

Une jeunesse de Blaise Pascal est un livre bref, pourquoi un tel format ? Le travail d’élagage est-il constitutif pour vous de cette volonté d’approcher le mystère du vide créateur ?

Le livre est bref pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est ma façon d’écrire, en allant à l’essentiel, et pour ça au fur et à mesure des relectures je retire tout ce qui me semble superflu. Ensuite, parce qu’on a très peu d’informations sur la vie de Pascal, hormis bien sûr le très beau texte de sa sœur, Gilberte Perier, dont les informations ont alimenté mon roman. Enfin, il me semblait que le roman devait être le plus fulgurant possible, comme a été la courte vie de Pascal, qui meurt à 39 ans, a fortiori ses années de jeunesse puisque mon roman ne couvre que sa vie de l’âge de 12 ans à 31 ans, d’où la nécessité d’un texte très ramassé et vif.

Comment Blaise Pascal est-il sorti du coma dans lequel il plongea pendant une semaine lorsqu’il avait seulement quelques mois ? Bénéficiait-il selon vous de protections majeures, outre celle de sa sainte sœur, Jacqueline ?

Sa nièce raconte que, croyant qu’une femme supposément sorcière avait jeté un mauvais sort à son fils, son père l’a forcée à retirer ce sort. Ainsi, Etienne Pascal, tout cartésien et tout chrétien qu’il était, croyait donc un petit peu au paranormal, mais ce serait sûrement le cas de n’importe quels parents dans la même situation.

On imagine souvent Blaise Pascal drapé de noir, l’air sinistre et sentencieux, quand vous insistez sur sa joie. Pascal était-il spinoziste sans le savoir ?

Dans mon roman, je m’intéresse davantage au scientifique qu’au philosophe, je fais le portrait d’un génie porté par les capacités presqu’illimitées de son intelligence, sa curiosité, ses souffrances psychologiques, la perte de sa mère, et physiques, la maladie. Pascal comprend très vite que la pensée est un moteur qui lui permet d’apprivoiser puis de modifier le monde, et ce pouvoir en effet lui procure une grande joie. Je décris je crois une sorte de Pascal nietzschéen.

Le fait de défier Dieu ne présage-t-il pas de grands malheurs personnels ?

Peu importe, il faut faire ce qu’il y a faire, il faut suivre sa nature, et la nature d’un mortel c’est la liberté, et l’accroissement continuel de cette liberté, y compris celle de choisir sa mort, chose qu’un dieu ne peut pas faire.

Inventeur de la « pascaline », sorte de calculatrice, l’ambition de Pascal n’était-elle pas de sortir du calcul par le calcul, afin de comprendre les lois de l’univers et de la création/recréation/résurrection ?

Oui en effet, c’est une des thèses du roman, Pascal veut retrouver sa mère, et croit qu’en maîtrisant la physique, il réduira à néant les mystères du monde, à commencer par la mort. C’est l’histoire d’un corps qui s’appuie sur la science pour retrouver un autre corps, et ce, de quelque manière que ce soit, par la médecine qui exhumerait et ressusciterait un corps, ou par la physique qui permettrait le retour dans le temps, voire par la méditation, ou la prière, ou la prise de drogue, pour un corps comme le sien, tous les moyens sont bons afin d’arriver à ses fins et mettre fin à l’insupportable manque.

Etes-vous allé sur les lieux de l’enfance de Blaise, au Puy de Dôme, à Clermont, à Rouen, aux différentes adresses de ses domiciles parisiens ? Dites, qu’avez-vous vu ?

Autant que je sache les maisons où a vécu Pascal ont été détruites, notamment celle de Clermont (dont il reste cependant une photo de la fin du XIXe s.). Je ne me suis pas rendu à Clermont, au Puy de Dôme ou à Rouen, mais seulement à la Tour Saint-Jacques à Paris, où j’ai eu le vertige.

A la mort de son père, Blaise Pascal vivra richement, passera des nuits à jouer, gagnant toujours. Quel est son secret ?

Pascal met au point à ce moment-là sa théorie des probabilités et il créé des martingales qui lui permettent de gagner. Bien sûr, ici j’ai un peu romancé, il n’a sans doute pas gagné autant et de manière si automatique.

Vous écrivez page 63 : « Il s’agit de grandir par le saut dans le vide, on mise tout parce qu’on désire frôler la mort, côtoyer le danger et en triompher, périr et ressusciter. » Ce saut dans le vide sans tomber n’est-il pas l’acte même d’écrire ? Yannick Haenel, qui développe également cette idée, ne rejoint-il pas ici Pascal ?

Dans ce passage, je parle des joueurs, notamment dans les casinos. Il est possible que cela rejoigne les idées de Yannick Haenel, et ce n’est sans doute pas un hasard si lui et moi sommes publiés dans la même collection chez Gallimard, celle de Philippe Sollers. Je ne sais pas si écrire c’est faire un saut dans le vide sans tomber, mais ce que je sais c’est que pour écrire il ne faut pas avoir peur, il faut avoir une confiance absolue, du genre de celle qui permet de marcher dans le vide.

Pouvez-vous revenir sur le spectaculaire accident de carrosse qu’eut Blaise – votre livre est un roman, comme la vie l’est souvent – et la nuit de feu qui s’ensuivit marquant son éveil spirituel ?

Cet accident de carrosse ne semble pas être attesté historiquement mais il m’a paru tellement incroyable et tellement visuel que j’ai voulu l’écrire. En revanche, la nuit de feu était plus compliquée à écrire, mais je devais l’intégrer au roman puisque que c’est le point final du texte : après cette nuit-là, Pascal devient écrivain, mystique et philosophe, et donc je ne pouvais plus écrire la suite de sa vie, je n’allais pas utiliser des phrases imparfaites pour raconter la façon dont il en composait de parfaites !

A partir de quels ouvrages avez-vous construit votre livre ?

Essentiellement deux textes : la Vie de Pascal de sa sœur Gilberte, et le Mémoire concernant M. Pascal et sa famille de sa nièce Marguerite. J’ai lu plusieurs biographies, mais la plupart se fondent aussi sur ces deux textes, les sources historiques sur Blaise Pascal étant très peu nombreuses.

On méconnaît généralement la précocité du génie de Pascal. Comment naît le génie ?

Je ne sais pas, je suppose qu’il pense différemment, qu’il voit des choses que les autres ne voient pas et qui lui semblent évidentes, et aussi qu’il désobéit beaucoup, à son père puis à la société.

Pourquoi y a-t-il alors à Paris une telle effervescence du côté des mathématiques avec par exemple Fermat, Descartes, Mersenne ?

Je ne suis pas historien donc je ne peux pas répondre précisément, mais les Français sont réputés pour être « cartésiens » et ont toujours été excellents en mathématiques, y compris de nos jours où nous avons une grande quantité de mathématiciens récompensés par la Médaille Fields, l’équivalent du Nobel de mathématiques (le dernier en 2014).

Blaise devint très vite père de son père, semblant ainsi échapper à tout esprit de vengeance, ressentiment ou concurrence. Qu’est-ce qu’un père devant son fils ?

Je suppose que pour un fils, son père c’est son origine. Dans le roman il y a tout un jeu souterrain à partir des relations du Père et du Fils dans la théologique catholique où le Fils devient le personnage central, le Dieu de son Père. L’idéal serait de devenir le Dieu de son Dieu, mais bien évidemment tout cela est terriblement hérétique.

Vous avez publié récemment un extrait de votre roman sur le cinéaste Ozu (éditions Louise Bottu) dans le bulletin numérique que publie du Japon Michaël Ferrier, Tokyo Time Table. Quelles parentés possibles entre Ozu et Pascal ?

Il n’y a, me semble-t-il, aucune parenté entre Ozu et Pascal, si ce n’est que tous les deux ont eu des existences pleines d’épreuves et de décès.

Que représente Ozu pour vous ? Comment avez-vous pensé la construction de votre roman ? Vous y citez peu ses films, préférant les évoquer de façon allusive.

Ozu est un cinéaste qui m’intéresse en raison des histoires qu’il raconte, des drames et des relations familiales, et de la façon dont il les raconte, dans une grande rigueur formelle et avec une grande vie et presque une joie chez ses personnages. Comme ce n’était pas une biographie mais un roman, j’ai très peu cité ses films mais plutôt mis en relief sa vie privée, dont il apparaît qu’elle aurait pu fournir le scénario d’un de ses films.

Sur qui/quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille actuellement sur un roman, mais dont je n’ai pas la moindre idée de quoi il parlera, bref je vis et je lis. Pour tout dire, j’écris chaque année plusieurs romans, deux ou trois, et je choisis ensuite le plus réussi que je soumets à mon éditeur qui l’accepte ou le refuse. J’ai une confiance absolue dans l’œil de Philippe Sollers qui est un lecteur incroyable et voit tout de suite quand le texte fonctionne. On verra quel sera le prochain texte réussi, si je parviens à en écrire un. La littérature n’est pas une science exacte, les livres ne se créent pas de manière automatique, c’est même l’inverse : un livre réussi est imprévisible, c’est toujours une sorte d’accident, une forme de miracle, un événement qui n’est pas naturel mais exceptionnel. Donc il faut faire de multiples tentatives sur de multiples sujets, pour qu’enfin dans le texte quelque chose de « spécial » survienne, et se reproduise pour chaque personne qui en pratiquera la lecture.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Marc Pautrel, Une jeunesse de Blaise Pascal, éditions Gallimard, collection L’infini, 2016, 84p

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Marc Pautrel, Ozu, éditions Louise Bottu, 2015, 136p

Retrouvez-moi aussi sur le site de la revue indépendante Le Poulailler

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