Dakar Nuit est le deuxième livre du photographe Ulrich Lebeuf publié aux éditions Charlotte Sometimes, après Tropique du cancer en 2015.
Livre d’atmosphère, cet ouvrage est une plongée dans les ténèbres d’une ville parcourue de néons et de désirs en attente d’assouvissement.
Construisant ses images comme des amorces de fiction, Ulrich Lebeuf dérive, solitaire, dans une profondeur de noir engageant la dissipation des frontières, des seuils, des limites, faisant de l’espace un continuum d’énergie brute et inquiétante.
La vie apparaît par éclats, et puissances de phosphorescence.
Ce pourrait être les plans d’un film où l’on ne comprendrait pas grand-chose, à l’instar du scénario du Faucon maltais de John Huston.
Un ventilateur, des bouteilles de bière, des hommes comme des oiseaux de proie.
Des femmes dansent, peut-être.
Des silhouettes se rencontrent, dans un bar ou dans la rue.
La nuit palpite d’abstractions.
Goût du danger et de la sensualité, sensation d’engloutissement, de dévoration, corps striés de lignes lumineuses.
Le temps n’existe plus.
L’ivresse est palpable, n’atteignant pourtant pas les images, cadrées sans fébrilité, sûres de leur autorité.
Au cœur de la nuit africaine, un homme blanc, clandestin, voit des êtres, que la lumière électrique révèle.
La nuit est pop, telle une succession de théâtres secrets engendrés par le magnétisme des poteaux de couleur.
Des pages foliotées a b c d, proposant au regard des images de petit format, s’imposent comme des fragments énigmatiques.
Mais Ulrich Lebeuf n’est pas seul, accompagné dans son livre par l’écrivain Arnaud Maïsetti, dont le texte est superbe : « La nuit n’est pas ce que l’on croit. Si on y marche plus lentement c’est parce qu’on sait possible les rencontres, tranchants les regards, et qu’il faut être prêt pour les coups et les baisers. Les coups sont parfois des caresses, et les baisers, des douleurs plus vives encore : il faut être prêt, tu es là. »
Arnaud Maïseti informe certes sur Dakar, son origine, sa nécessité ontologique, mais il fait plus, parcourant lui aussi la nuit, son énigme, son épaisseur intime.
Son texte n’est pas un commentaire d’images, mais une façon de construire par les mots d’autres tableaux, superposables et différents.
Le soleil s’est levé sans achever la nuit, force génésique rapprochant les peaux et les fantasmes, jetant bas les habits et regards de protection.
Se souvenir alors d’Antonin Artaud : « Dans l’état de dégénérescence où nous sommes, c’est par la peau que nous ferons rentrer la métaphysique dans les esprits. »
La nuit sait-elle qu’elle est noire ?
Ulrich Lebeuf, Dakar Nuit, texte d’Arnaud Maïsetti, éditions Charlotte Sometimes, 2017, 64 pages
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