Simon Liberati, Les violettes de l’avenue Foch, un autoportrait à la canne de sorcier

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André Chénier

Accompagnant la sortie des Rameaux noirs, Les violettes de l’avenue Foch, de Simon Liberati, est un livre formidable, car vif, drôle, impertinent, diablement intelligent.

Recueil d’articles – mais aussi d’entretiens, de nouvelles, de préfaces – donnés entre 2013 et 2017 à des organes de presse et de mode aussi divers que Lui, Libération Next, Le Monde, L’Officiel Homme, Purple, Vogue, Madame Figaro, Transfuge, Les Inrocks, Psychologies (la littérature au service du journalisme), les violettes de l’auteur de L’hyper Justine (Flammarion, 2009) sentent le bois ciré du mobilier modern style, les robes violemment parfumées les soirs d’alcôve et les vins capiteux bus dans un large fauteuil installé à l’angle le plus sombre d’une vaste bibliothèque.

L’histoire ne dit pas si l’écrivain chausse ses lunettes à l’instant de rejoindre l’établi, mais l’écriture, elle, possède assurément une excellente vue. Les portraits qu’il trace d’Edwige, de Chloë Sevigny, Naomi Campbell « la vénère », ou de Marisa Berenson, « merveilleuse libellule » aimée des fées, actrice du film maudit Rosa mystica (réalisation Eva Ionesco), sont superbes.

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Marisa Berenson, Barry Lyndon, Stanley Kubrick, 1975

Un passage ? « Je la croyais plus grande, elle est menue, presque frêle, avec ce délié d’allure, ce cou en point d’interrogation, propre aux insectes, aux oiseaux-lyres et accessoirement aux cover-girl des années 1960. La bouche est immense, fendue loin, et semble toujours prête à rire. J’aime les gens souriants, les beautés rieuses paraissent toujours plus aristocratiques. Il y a un fatalisme slave, délicieux, dans ces éclats. »

C’est que l’ami d’André Chénier aime l’élégance des femmes du monde intelligentes et raffinées.

Manière d’autoportraits en quarante fragments, Les violettes de l’avenue Foch est aussi un roman d’amour, flamme continue déclarée à la belle Eva, ce petit monstre très fidèle.

Voici les dernières lignes du dernier texte intitulé Eva amor : « Dès la minute où j’ai rencontré Eva, avant même de l’avoir embrassée, j’ai fait le serment de ne la trahir jamais alors que j’avais trompé toutes les femmes sans exception jusqu’à elle. Ne plus avoir de tentations donne une forte sensation de liberté, elle m’a permis de retrouver avec les autres femmes cette camaraderie entre sexes qui fait défaut dès lors qu’on se place dans le domaine ambigu de la séduction. »

Entreprise d’introspection, Les violettes de l’avenue Foch (en couverture, le modèle Cuki en veste de cuir, un revolver BB gun à air comprimé enfoncé dans la gorge, chevelure auburn déployée, polaroïd SX 70 pris par le photographe suisse Edo Bertoglio en juillet 1979 à New York) est un très bel exercice d’exaltation, Simon Liberati célébrant sans retenue ses objets d’admiration : André Breton (fil rouge), Benoît XVI, la supper queen Wladziu Valentino Liberace, Pierre Molinier, « le prêtre maudit de Los Angeles » Kenneth Anger, Oscar Wilde, Françoise Sagan, Roger-Gilbert Lecomte, Paul Léautaud, Paul Morand, le Chinois de Hong Kong Davé.

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Edwige

Et puis, il y a les amis proches, Nicolas Hidiroglou, Jean-Jacques Schuhl, Pierre Le-Tan, et l’énigmatique Jean-Pierre Léaud (reproduction ici d’un entretien inédit en français), « marxiste féroce » initié au vaudou.

Il y a dans sa plume de mousquetaire un art de la touche juste faisant songer régulièrement au brio d’un Gabriel Matzneff, jamais meilleur que dans la formule définitive, ironique, ironiquement définitive, et l’emploi de l’adjectif « capricant » (à propos de l’écrivain Natalie Barney).

Ruine, drogue, amour, chambre d’hôtel (rue de Beaune à Paris), boites de nuit (Palace, The Dragon Eye, Pink Mao Mao, Bains Douches… ), « goût de la mythologie moderne », culte de la Vierge Marie, satanisme, amour fou, anecdotes qui en disent long (lire l’entretien avec l’acteur Pascal Greggory) font le sel, la salé et le sucré d’un recueil de chroniques au style souvent ébouriffant.

En une dizaine de pages, Simon Liberati fait le portrait de l’aristocrate « dévoyé » Jacques de Bascher (1951/1989) – « inventé » par la journaliste Alicia Drake dans un « roman vrai » des années Beautiful People – aimé de la « princesse du Saint Empire au crâne rasé et aux talons de quinze centimètres achetés dans la boutique Ernest à Pigalle » Diane de Beauvau-Craon, ainsi que de Karl Lagerfeld – et d’Yves Saint Laurent, protégé par Pierre Bergé.

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Jacques de Bascher

A son frère, avant d’être emporté par le sida : « Je vais sans doute mourir jeune mais ne sois pas triste ; parce que même si tu vivais jusqu’à cent ans, tu ne vivrais pas la moitié de ce que j’ai vécu. »

Pour découvrir plus avant ce grand singulier, le lecteur peut se plonger avec joie dans la biographie que lui consacre aux éditions Séguier Marie Ottavi, journaliste à Libération.

Ecrit d’un ton alerte, Jacques de Bascher, Dandy de l’ombre, explore en 59 chapitres menés allegro vivace la figure de ce beau séducteur viscontien, matelot défroqué, ange damné des clubs parisiens des années 1970 (DJ Guy Cuevas aux platines), poisson dans l’eau parmi « les Guermantes et les punks » (Vincent Darré) – excellent portrait de Karl Lagerfeld, qui propulsera le jeune hobereau dans l’univers de la mode.

« Jacques de Bascher est l’archétype du dandy, presque sa caricature. Son indifférence au monde est spectaculaire. S’il gravite autour de la société, c’est pour ne jamais se soumettre à ses contraintes. L’argent, le travail, les matérialités ordinaires ne font pas partie de ses préoccupations. Il prend l’argent dès lors qu’il n’a pas à le gagner. Cela tombe bien, il est dispensé de toute obligation. Ces considérations pratiques, Karl les assume, c’est leur contrat tacite. »

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Les photographies retrouvées par Marie Ottavi montrent un homme sûr de son pouvoir d’attraction, l’œil doux et perçant, arborant cette légère morgue de qui fait danser la mort chaque nuit – présence électrique d’Andy Warhol et de David Hockney.

Vie de fête, goût de l’extrême (chapitre 35), drogues diverses, plaisirs du travestissement, voyages, débordements bouffons, prestigieux noms de la mode, qui devient une industrie.

Ce qui fait songer à la naissance des temples de la parure, les grands magasins parisiens, tels que décrits par Emile Zola dans Au bonheur des dames (1883), texte que l’on retrouvera avec plaisir dans un nouveau volume de la collection « Le goût de » au Mercure de France, Le goût de la mode (textes choisis et présentés par Ariane Charton) : « C’étaient la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu’ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l’avoir étourdie devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient au coup de folie de la mode, toujours plus chère. »

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Kenneth Anger

Guillaume Apollinaire va plus loin. Extrait du Poète assassiné (1916) : « Notez que l’on commence à se vêtir d’animaux vivants. J’ai rencontré une dame sur le chapeau de laquelle vingt oiseaux : serins, chardonnerets, rouges-gorges, retenus par un fil à la patte, chantaient à tue-tête en battant des ailes. »

Et l’on se souvient alors de la scène inaugurale du roman Nue (2013), de Jean-Philippe Toussaint, Marie, son personnage principal, portant à même la peau une robe de miel suivie d’une nuée d’abeilles.

Marie ? Eva ?

Simon Liberati : « Eva, reste, je t’en prie, le plus longtemps possible, avant que le service du matin ne vienne frapper à la porte. »

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Simon Liberati, Les violettes de l’avenue Foch, éditions Stock, 2017, 302 pages

Editions Stock

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Marie Ottavi, Jacques de Bascher, Dandy de l’ombre, éditions Séguier, 2017, 296 pages

Editions Seguier

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Le goût de la mode, textes choisis et présentés par Ariane Charton, Mercure de France, 2017, 108 pages

Mercure de France

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leslibraires.fr

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