Homélie de la parole trahie, par Olivier Py, poète

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« Le désespoir n’est nulle part, le désespoir est partout, vos pères vous ont abandonnés et je viens, aujourd’hui, en frère réveiller votre révolte. »

On connaît l’enthousiasme du poète, dramaturge, et officiel du théâtre, Olivier Py, son lyrisme, son rimbaldisme, son orphisme, son claudélisme, son biblisme, son amour de la langue et des corps masculins qu’elle lèche en cracheuse de feu.

On se souvient de la fameuse Lettre aux acteurs, de Valère Novarina – « Faut des acteurs d’intensité, pas des acteurs d’intention. Mettre son corps au travail. Et d’abord, matérialistement, renifler, mâcher, respirer le texte. » -, et l’on découvre avec joie, nous qui n’avons pas renié la lecture du mage Hölderlin par le philosophe antinazi Martin Heidegger, la belle Epitre aux jeunes acteurs pour que soit rendue la parole à la parole (première édition 2000) de l’actuel directeur du festival d’Avignon, que l’on aime plutôt imaginer en Miss Knife, le personnage de travesti de cabaret qu’il a inventé pour chanter la blessure et le sublime d’être au monde.

Que serait donc un acteur qui n’aurait pas l’ambition d’écouter corps et âme ce que la parole en tant que parole convoque de promesse et de révolution ?

Puisque croît le désert, croît aussi ce qui sauve dans la langue pleinement incarnée, ses tremblements et son cri.

A l’acteur d’entrer en sacrifice, et de renaître de ses cendres sur le plateau de parole.

Si le poète exhibe ses fesses, zutiste nudiste, c’est qu’il est sauvé, c’est qu’il est un enfant, c’est qu’il est la part inaperçue de votre cruauté.

L’heure est au moins très sévère pour qui porte la couronne de l’insurrection par la parole.

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Il y a des lieux qui sauve, j’en connais, des êtres qui sauvent, j’en connais, et des tasses de café, des musiques, des regards, des suppliques au moment de s’aimer.

Etre le jeune acteur qui monte, qui monte, la belle affaire, s’il n’est aussi l’ange démoniaque, pasolinien, dans les salons des pornographes ?

Nous sommes gavés de culture, très peu d’art, qui est l’insoutenable de notre métamorphose, qui est vérité quand le spectacle a chu dans les ornières.

« Nous sommes des porcs. Nous sommes des porcs communicants, nous sommes enfermés comme des monstres dans le labyrinthe de la communication. Un labyrinthe c’est horizontal. C’est cette horizontalité qui fait la police ; qui nous interdit tout accès au symbolique, qui nous prive du visage du père et nous rembourse avec un yaourt à zéro pour cent. »

Refuser que la parole soit la réponse de la chèvre aux décideurs qui la salissent.

Refuser le rire des assassins pour le rire majeur des enfants de Dionysos et de Jésus.

« Ainsi, montrant un homme qui parle, comme il chie, les comiques nous forcent à chier par la bouche, et nous font oublier que l’on savait se tenir debout, devant l’audience, courageux devant la noire imprécation de la salle espérant. Espérant à en mourir qu’une parole passe la rampe, qu’entre nous quelque chose naisse qui soit de la Parole. »

On a connu cela, durant la Commune de Paris (lire la lettre de Courbet le 20 avril 1871), en Mai 68, actuellement dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, et partout où des paroles telles que « Tiens bon, gars, tu es avec nous, protège-toi, tu veux un fruit ? » se prononcent du fond du cœur, du fond des yeux, du fond du sexe.

Plus le temps d’attendre Godot, il faut que ça jouisse, et tout de suite, et longtemps, et ensemble.

Un enfant se présente sur la scène, trébuche, tombe, casse ses dents de lait.

Une spectatrice s’avance, jeune mère, se dénude, lui offre le sein, plein, rond à se rompre, lactophore.

L’enfant qui pleurait se redresse, regarde la salle et prononce de sa bouche blanche : « Je souffre, je parle, et par les mots je vous tends les mains. »

9782742728152

Olivier Py, Epître aux jeunes acteurs pour que soit rendue la parole à la parole, Actes Sud – Papiers, 2018, 38 pages

Actes Sud – Papiers

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Se procurer Epître aux acteurs pour que soit rendue la parole à la parole

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