
Une des plus belles expositions photographiques du moment a lieu à Brest (Finistère), dans une de ses vieilles demeures, la Maison de la Fontaine.
Elle est de Vincent Gouriou, qui a travaillé avec les associations DIVERSGENRES et AIDES, ainsi qu’avec des infirmières du CHU, sur les lieux de rencontres extérieurs d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Le sujet pourrait être considéré comme scabreux, mais les images sont d’une très grande douceur, parfois dérangeantes peut-être, mais d’une tendresse réelle envers des hommes, souvent isolés, cherchant plaisir, écoute, échange, commerce, auprès d’autres hommes.
La nature est pour eux un écrin de présence où laisser s’épanouir enfin la jouissance.
Œuvre élaborée avec le concours de modèles et comédiens amateurs, Promenons-nous rend visible le discret, le dissimulé, avec toute la force d’un imaginaire nourri de littérature et de cinéma, de Jean Genet à Alain Guiraudie.
Il ne s’agit donc pas de traquer au téléobjectif des hommes dans les bois ou sur les parkings, mais de faire entrer leurs errances nocturnes dans une fiction ayant la trame et le trouble d’un rêve éveillé.

S’ouvre actuellement à la Maison de la Fontaine de Brest une exposition intitulée Promenons-nous consacrée aux lieux de rencontres extérieurs d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). Comment avez-vous abordé cette thématique ?
A l’origine du projet, je n’avais pas d’idée précise de l’angle sous lequel j’allais aborder cette carte blanche. Je savais juste que je ne souhaitais pas l’aborder sous la forme d’un reportage ou d’un travail trop documentaire. Lorsque j’ai participé aux premières maraudes avec les acteurs du projet (infirmières du CHU, association DIVERSGENRES et AIDES), je me suis vite rendu compte qu’il serait compliqué de faire des photos des personnes rencontrées sur ces lieux, c’est assez paradoxal de vouloir rendre visible des lieux qui sont censés être invisibles et confidentiels. J’ai donc choisi le parti-pris de mises en scène avec des personnes volontaires, inspirées de l’ambiance ressentie lors des maraudes et également de lectures et de films sur le sujet.


Vous avez choisi de travailler avec des comédiens. Que leur avez-vous demandé ?
La plupart des personnes photographiées sont en effet des modèles et comédiens qui ont joué le jeu de la mise en scène. C’était un travail collaboratif car les idées des lieux et des mises en scène pouvaient venir aussi bien d’eux que de moi. J’avais en tête des images, des atmosphères, des scènes … On en discutait et je laissais ensuite beaucoup de liberté aux modèles sur la façon dont ils souhaitaient se mettre en scène et se dévoiler sous mon objectif, selon leurs propres limites, moi je n’en avais aucune lors de la prise de vue ; c’est lors de l’éditing que je procédais à ce choix.


L’association DIVERSGENRES et le festival « Fais pas genre ! » vous ont offert une carte blanche. Votre exposition s’adresse-t-elle en priorité à un public spécifique ?
C’est une exposition qui s’adresse à un public averti. C’est un sujet assez tabou, il fallait trouver la bonne distance et aborder ce thème avec respect et dignité. Au-delà de l’âge du public qui ne devrait pas être trop jeune, je pense que cette exposition peut s’adresser à tout le monde. Pour certains, cela peut être une fenêtre sur un monde peu connu, souvent invisible et confidentiel. Certains pourront trouver ce thème un peu « glauque », mais l’on s’est rendu compte lors des maraudes que cet univers va bien au-delà de la sexualité elle-même. Il s’agit d’un univers parallèle qui se met en place à certains endroits et à certaines heures du jour et de la nuit où tout est codifié, avec des rituels, il y a beaucoup de respect. Ce sont des lieux de liens sociaux pour certains, c’est aussi un retour à la nature et à des instincts plus primitifs et sauvages, l’homme n’est finalement qu’un animal qui s’est civilisé. Tout cela fait partie de la nature humaine au-delà des normes et de la bienséance, cela interroge aussi sur la notion d’appropriation du territoire, entre l’espace privé et public. Cette exposition est également l’occasion de parler d’homophobie et de prévention.

Votre imaginaire consonne grandement avec celui d’Alain Guiraudie (L’inconnu du lac), voire, pour les lumières et l’étrangeté de la nuit, celui de David Lynch. Que gardez-vous du cinéma dans votre série ?
Le cinéma est pour moi une grande source d’inspiration. Pour cette série, je souhaitais m’éloigner d’un certain naturalisme, cela permettait aussi de prendre du recul et de la distance par rapport au sujet. Lors des maraudes, j’avais parfois l’impression d’être dans un film, notamment lorsque l’on marchait dans le noir avec nos lampes torches, le bois craquait sous nos pieds, on distinguait des silhouettes de marcheurs dans les bois. Cet univers est très inspirant esthétiquement et propice à raconter des histoires, comme au cinéma. D’un point de vue technique, j’ai utilisé principalement la lumière disponible « naturellement », celle du soleil de fin de journée, la lumière de la pleine lune, les lampadaires sur les parkings, les phares des voitures et parfois les lampes torches que l’on utilisait également lors des maraudes. J’ai préféré conserver cet éclairage « in-situ », car même si c’est un travail à la lisière entre la réalité et la fiction, je souhaitais que l’on puisse ressentir les ambiances de ces maraudes.

Comment avez-vous lu Querelle de Brest, de Jean Genet, qui constitue vraisemblablement l’une de vos sources d’inspiration ?
Jean Genet décrit des univers interlopes qu’il sublime et magnifie par un verbe riche et raffiné. Ce qu’il dépeint est très cru mais il y a une beauté, une poésie qui transcende tout le reste. J’aime également les auteurs comme Edouard Louis ou Christine Angot qui parlent de la nature humaine de façon très personnelle, intime et frontale, sans tabou, qui questionnent le rapport d’un auteur à la réalité.

Pourquoi montrer un sexe en érection dans une exposition publique (salle interdite aux moins de dix-huit ans) est-il toujours perçu aujourd’hui, en 2018, comme un acte limite, voire subversif ? La nudité masculine fait-elle peur ?
Oui, je pense que même si les choses évoluent depuis quelques temps, la nudité masculine est encore taboue ; la nudité a longtemps été réservée aux modèles féminins, surtout en photographie. Aujourd’hui, montrer la nudité masculine dans une exposition qui ne s’adresse pas spécifiquement aux gays est encore perçu comme dérangeant et provoquant. J’ai photographié il y quelques temps les lutteurs de la place Della Signoria à Florence que j’ai intégrés à ma série noir et blanc « de Pierre et de Chair », ces statues présentées avec des « vrais » corps masculins qui s’enlacent prennent une toute autre dimension, alors qu’ils sont en réalité présentés sur une des places les plus touristiques de la ville. Ce n’est pas le corps masculin en lui-même qui est tabou mais la dimension sexuelle qu’on lui donne.

Le réseau soclal Facebook a récemment supprimé votre compte. Etes-vous donc si dangereux ? Avez-vous vécu cet effacement de votre nom comme un acte de censure ?
Il s’agissait justement d’une des images de la série « de Pierre et de Chair ». C’est une image qui ne montre rien frontalement, mais l’on devine une étreinte entre deux corps masculins. Je l’ai en effet vécu comme un acte de censure, et peut être que ce qui m’a le plus dérangé c’est qu’un de mes « amis » Facebook ait sûrement signalé cette image … J’avais déjà subi cette censure avec des images que j’ai réalisées des FEMEN, seins nus. Il y a un réel décalage entre la violence des images et articles non censurés que l’on peut voir sur Facebook et ces images, qui pour moi n’ont rien de dangereux bien sûr ; cela en dit long sur notre société.

Instants d’abandon, à la galerie David Guiraud (Paris), est votre première exposition parisienne d’importance (actuellement en cours). Qu’y montrez-vous ? Quels choix avez-vous opérés ?
C’est une sélection d’une trentaine d’images opérée avec David Guiraud le galeriste. Il y a plusieurs séries présentées, avec comme fil rouge l’identité, l’intimité et la sensualité. Il y a une sélection de portraits de la série Singularité(s) et des images plus intimistes, des corps, des étreintes. L’objectif était de présenter des images qui fonctionnent aussi bien en série qu’individuellement.
Propos recueillis par Fabien Ribery

Vincent Gouriou, Promenons-nous, exposition à la Maison de la Fontaine (Brest), du 12 mai au 30 juin 2018
Vincent Gouriou, Instants d’abandon, exposition à la galerie David Guiraud (Paris), du 4 mai au 21 juin 2018
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