
Il est très agréable de ne rien connaître – ou presque – à l’objet de notre étude, mais de savoir immédiatement, dès l’ouverture de l’enveloppe, qu’un dialogue pourra s’opérer, parce qu’il sera question de nécessité poétique, d’art, de la vie des formes.
Alain Marc est poète. Son catalogue indique des préfaces de Pierre Bourgeade (pour l’essai Ecrire le cri, 2000) et de Bernard Noël (le recueil Regards hallucinés, 2005), on est en confiance.
Son dernier livre, publié chez Dumerchez, En regard sur Bernard Gabriel Lafabrie continue son grand œuvre d’accompagnement des artistes plasticiens (Lino de Giuli, Valérie Thévenot), peintres (Laurence Granger), sculpteurs (Bertrand Créac’h), poètes penseurs (Isabelle Raviolo, Philippe Guénin) qui lui importent.

La poésie peut souffrir de solitude, quand elle crie souvent son besoin de dialogue.
En regard sur Bernard Gabriel Lafabrie est un ensemble de poèmes/portraits inspirés à Alain Marc par le travail de peintre et lithographe de son ami, aussi éditeur de livres d’artistes (l’imprimerie d’Alsace-Lozère à Paris).
De l’œuvre graphique au poème, il y a tout un antisystème de correspondances, une transmission de flux, un souffle mutuel.
Les vers déplient moins qu’ils n’interrogent la reproduction qui est à leurs côtés.

Sentinelles pour sentinelle.
Quelques formes géométriques pour tracer le portrait de tel ou tel, inconnu (la Jeune antillaise, la Marchande de pommes) ou pas (Vera Molnar).
Quelques mots, très peu, qui parfois se disloquent.

A propos de Roland Weber : « de version / en version // du figur / atif à l’abs / trait // l’abstraction / du visage // répétition de l’im / pression // première // en finir / avec le por / trait ? // jusqu’à l’obsession // dizaine de travaux / préparatoires »
Il faut pour goûter ces syncopes la fraîcheur d’une nuit étoilée, ou une chambre aux fenêtres ouvertes sur la ville.
Bénigne de Guitaut est peut-être une béguine, une mystique allemande du XIIe siècle, allez savoir qui est là dans cette portion de vitrail en marche.

Il y a de l’enfance et de la malice dans le travail de Bernard Gabriel Lafabrie, ainsi cette Femme à l’écharpe verte qui est un double animalcule extraterrestre, ou quelque protozoaire inconnu.
Commentaire d’Alain Marc : « le portrait / du portrait / est-il toujours un / portrait ? »
Oublier les visages, les identités particulières, les histoires de chacun, puis, dans un moment de fulgurance ayant nécessité bien des tâtonnements et étapes intermédiaires, arrêter une forme qui sera une évidence.

« travail / du multiple // multipli/cation // de la présence // dans une / présence absence // répétition de »
Et tomber en émoi devant la « spiritualité » (quelle silhouette) de Victoria Vernet ou Yvonne Belamri.
Alain Marc, En regard sur Bernard Gabriel Lafabrie, Dumerchez, 2018, 46 pages