Journal d’une fille perdue, un premier roman de Clémentine Haenel

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Mauvaise passe, de Clémentine Haenel (aucun lien de parenté avec le renard pâle que chacun connaît – allusion page 122) est un livre qu’il faut endurer jusqu’au bout, dans l’insupportable de ses dérives, de ses violences, de ses dégoûts accumulés, pour qu’en naisse, quelques instants, sous la lumière de Suède, une beauté d’apaisement.

Mauvaise passe est un texte qui mange beaucoup, baise beaucoup, pleure beaucoup, vomissant son « je » (première personne énonciatrice) comme on éclate la cervelle à se cogner la tête contre les murs de soi-même.

La jeune narratrice de ce débondage analytique offre son corps à qui veut bien le prendre, aime X, puis Y, et aurait besoin de plus d’un alphabet pour énumérer ses amours, ses échecs, ses salissures.

La voici donc qui coule d’elle-même, se phrase, et donne par le livre une forme à son ensauvagement malade.

Mauvaise passe est une impasse par laquelle il faut passer, car en littérature rien ne vaut vraiment fors la confrontation d’avec l’impossible.

Cahots nihilistes, laideurs multiples, coups reçus.

Une jeune femme ne cesse de chuter, de se réveiller dans des lits qui ne la concernent pas,

Incipit : « La nuit, je m’ouvre. Je me dévoile ; je me déshabille. On peut me rouler dessus. Tout le monde a, à peu près, une chance de me passer sur le corps. Je ne me respecte pas : c’est ce qu’on dit. Ça glisse sur moi. Je n’en pense pas moins, mais je n’y arrive pas. J’entends aussi qu’il faudrait être plus sélective, apprendre l’exigence puisqu’elle ne m’a pas été donnée. Moi : je m’en fous, la nuit j’ai besoin d’un corps qui m’écrase. »

Addiction à l’errance.

Paranoïa. Sentiment de persécution.

Se donner, s’échapper, tuer.

« Il y a une volonté de faire mal à ceux que j’aime et qui m’aiment, pas tous, certains. Peut-être tous. Je ne sais plus. Je ne suis pas lucide, pas forcément lucide. Je vois la scène, j’imagine les scènes. La possibilité du drame. »

Boire, puis boire, puis pisser, puis boire.

Elle goutte sur le carrelage.

Elle est une flaque fatiguée.

« X. aime avec méchanceté. Quand son corps me démange, je le bois, j’avale son sperme et j’attends la fin des spasmes, la bouche pleine de chaleur. »

Elle rêverait d’être une chatte baudelairienne, mais c’est « un poulpe pris au piège ».

Banalités, trivialités, quotidiennetés, rengaines.

Patauge dans le manque, entend des voix, est internée, embrasse avec la langue quand elle voudrait parler.

S’évanouit en lisant Hervé Guibert, il y a des âmes comme ça.

Elle est folle, bizarre, rêve à des exécutions, se passionne pour les serial-killers et les enlèvements de chats.

Elle est dure mais pénétrable, elle est enceinte.

Le temps passe, toujours le même, et « ce n’est pas très intéressant ».

Mauvaise passe, mauvais sang, saison en enfer.

Au détour des hantises, un homme sourit. C’est inhabituel, il ne la viole pas.

On entrevoit une éclaircie.

Se termine le premier roman d’une jeune femme née en 1992, et l’on attend déjà ce que la vie fera de cette mauvaise graine si l’écriture ne la lâche pas.

A vrai dire, on en doute peu.

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Clémentine Haenel, Mauvaise passe, Gallimard, L’Arpenteur, 2018, 128 pages

Site Gallimard

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Se procurer Mauvaise passe

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