
L’oublié est un livre sans parole de Matthieu Marre, une traversée du temps en des images légères et sensuelles, graves et tendres.
Le noir & blanc sied bien à la volonté d’atemporalité du photographe : inscrire, dans un livre conçu comme un hymne à la beauté et à l’immédiat, la vie d’une famille, rendre compte d’une intimité et d’un partage de délicatesse dans le peau à peau des jours.

C’est une histoire en cinq actes dont on devine çà et là le déroulé, sans ressentir la nécessité de l’enfermer dans un récit.
Une histoire d’amour, de départs, de retrouvailles, de naissances.

Une histoire de chemins de campagne, de lumière sur le parquet, de complicité de regards.
Une demeure nourricière, un fantasme.
Une femme apparaît, très belle, qui se dénudera tout en préservant ses secrets.

Se confond ici en une troublante donation paysages intérieurs et extérieurs, parce que tout révèle, tout vit, tout exprime, tout a une âme.
Les rectangles de vision sont comme les photogrammes du film que forment nos souffles associés, entre présence et absence, vide et plein.

Diastole, systole et intervalles de photographie.
L’œil écoute, qui se rapproche des images et entend battre leur pouls.

L’oublié est un livre de transmission, une attention à ce qui se tisse entre les générations, au berceau de la nature.
Il y a ici du rigorisme flamand (Age d’or de la peinture dans les pays du Nord), et du sensualisme français (le XVIIIe siècle comme horizon), en une poursuite des enjeux des primitifs de la photographie par d’autres moyens.

L’oublié construit un contre-temps désirable, un pas hors du rang des nihilistes par la grâce d’images pensées comme des natures mortes particulièrement vivantes.
C’est une méditation sur la mort au travail, et la force de ce qui est, simplement, devant soi, avec soi, contre soi.

Des portraits, des scènes de famille, des amis, des bébés, des gestes d’amour.
Beauté renoirienne des instants et de leur ombre.

L’oublié rend heureux, parce qu’il sait ne pas seulement se délecter de mélancolie, en accordant toute sa confiance à une Béatrice à qui la joie de vivre va très bien.
Matthieu Marre, L’oublié, éditions Yellow Now (Liège), 2015, 224 pages