
Pour connaître la vie et l’œuvre de l’architecte français Fernand Pouillon (1912-1986), on peut lire son roman écrit en prison (Les Pierres sauvages, 1964 – histoire de l’abbaye du Thoronet), et ses Mémoires (1968), narrant une vie passionnante, parfois même rocambolesque.
Les éditions Macula nous offrent aujourd’hui l’opportunité de redécouvrir le travail magistral qu’il a effectué en Algérie, par la grâce des photographies de Leo Fabrizio (1976) et Daphné Bengoa (1981), Fernand Pouillon et l’Algérie. Bâtir à hauteur d’hommes.

Respecté pour sa capacité à soigner l’insertion de ses bâtiments dans un espace naturel ou urbain, Fernand Pouillon, proche des idéaux communistes et du FLN, commença très tôt son métier, doté d’un grand sens du pragmatisme et d’une volonté assez rare de faire participer les artisans locaux à ses projets.
Contre les chantres du béton, guidé par l’ambition des justes proportions, il n’hésite pas à faire la promotion de la pierre, du bois, de l’acier, de la céramique ou du verre, dans un souci de respecter le style architectural local.
On lui doit après la Seconde Guerre mondiale, outre la construction de camps de réfugiés, l’édification de grands ensembles à Marseille, Aix-en-Provence, en Iran et en Algérie.

Cet admirateur d’Auguste Perret fit de l’architecture un combat, non pour le seul renforcement de l’ego, mais pour le bien-être de tous.
Ayant pris conscience de la trop grande discrétion de la présence de Fernand Pouillon dans l’histoire de l’architecture, dont l’œuvre est pourtant « la plus grande jamais bâtie par un seul homme au XXe siècle », Leo Fabrizio et Daphné Bengoa ont entrepris lors de leurs nombreux séjours en Algérie de photographier ses bâtiments, généralement ignorés du grand public, de l’extérieur (le premier) et de l’intérieur (la seconde).
On lui doit nombre de cités (Climat de France, Diar-el-Mahçoul, Diar-es-Saada…), des complexes touristiques (Sidi Fredj), des logements étudiants (la cité universitaire Bab Ezzouar).

Fernand Pouillon utilisait des matériaux nobles, hanté par le désir du bien vivre ensemble, dans la prise en compte des modes de vie et d’habitus culturel de chacun.
« Fernand Pouillon, écrit Leo Fabrizio – qui a choisi de photographier ses bâtiments avec un matériel lourd, imposant, cherchant à établir un véritable corpus durable, à la façon de Walker Evans -, était aussi convaincu que chaque construction crée un climat. Ainsi tenait-il compte, pour bâtir, de la géomorphologie d’un lieu et de ses qualités climatologiques. Il pratiquait une architecture durable avant l’heure. »
On connaît très peu l’œuvre de ce moine bâtisseur des temps modernes, dont les archives sont inaccessibles ou éparpillées, et dont les constructions sont parfois aujourd’hui très dégradées (particulièrement les complexes touristiques) car négligées, ce que montre avec douleur, comme un cri muet au cœur de la pierre, le photographe suisse.

Photographiant les humains au sein des bâtiments, Daphné Bengoa évoque la responsabilité des architectes et l’attachement de Ferdinand Pouillon à l’amélioration de la condition des hommes.
Elle a interrogé, passant les portes de ses palais – désormais décatis – pour le peuple, des femmes qui, toutes, lui ont dit leur difficulté à investir l’espace public, occupé par les hommes.
Nous sommes à Zeralda, Alger, Sidi Fredj, Annaba, El Kala, Tipasa, Oran, Saïda, Ghardaïa.

Réalité de la vie quotidienne algérienne, industrieuse, commerçante, débrouillarde, de bâtiments imposant leur silhouette surmontée d’antennes paraboliques, de complexes touristiques abandonnés et d’hôtels d’un blanc immaculé.
On rebâtit ce que le temps et l’incurie des hommes déconstruisent. Murs passés à la chaux, effondrés, relevés.
Des drapeaux algériens, des espaces lavés à grande eau, des bleus de travail, des vacanciers, des bords de mer, et des petites filles graves dans des intérieurs protégés des assauts de la lumière.

Parallélépipède avec colonnes antiques de Climat de France, cité percée de petites ouvertures comme des moucharabiehs du XXe siècle.
« Il y a une cité donc, écrit au cœur du livre l’écrivaine Kaouther Adimi dans un texte très touchant, imaginant (ou recomposant) des propos d’habitants, construite dans le Cité par un homme décédé en 1986. On parlera de celle-ci, mais on pourrait parler des autres. La cité se voulait sans mépris. Elle se voulait pour les plus pauvres, les déclassés, les oubliés, les méprisés. Elle se représentait comme un lieu qui réunirait les hommes entre eux. Elle était une réponse aux désirs d’un maire français des années 1950, le maire des Arabes comme l’appelaient les ultras, le maire des Français comme l’appelaient les Arabes. »
Du linge sèche aux fenêtres, des enfants jouent au billard, des employés entretiennent des hôtels pour le moment encore vides.

On rénove, réagence les gravats, se souvient un peu du temps du flambant neuf.
Rendez-vous à Alger, à Tipasa, avec un peuple et un pays très méconnus.
Un livre sur l’architecture de Ferdinand Pouillon pouvait-il être autre chose qu’un livre sur l’humain ?
Daphné Bengoa & Leo Fabrizio, Fernand Pouillon et l’Algérie. Bâtir à hauteur d’hommes, texte de Kaouther Adimi, Editions Macula, 2019, 192 pages – 140 illustrations
Exposition à l’abbaye de Montmajour aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2019
quel pur merveille; de nos jours, ou sont de reels heros? et en plus du grand art. I am an architect watcher et j’en avais jamais entendu parlé; merci merci. grazie
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