
Il ne cherche pas, il trouve.
La formule, bien connue, provient de Picasso, mais, antérieurement, elle est de la grande tradition de l’amour courtois, et de l’art du trobar, soit la capacité à trouver en un mot, en une phrase, en un rythme, le lieu et la formule, la source du désir et son expression verbale.

Je vois ainsi le nomade Gilles Roudière, troubadour dont la langue d’oc en ses chemins de pierre et ses morsures de soleil serait celle de ses images en noir & blanc parsemées de grains de beauté.
Composé au luth constellé de sa mélancolie, son dernier ouvrage, Trova, est une ballade cubaine, un voyage intérieur dans un pays considéré comme un espace mental.

Ses photographies sont des dessins au fusain d’un territoire parcouru lors d’un double séjour vécu comme un long rêve éveillé.
Gilles Roudière passe la réalité au filtre de ses sensations, à l’unique boussole de l’émotion.

Pour la rencontre entre le paysage, l’humain, l’animal et le ventre fécondant de la nuit, on peut songer à la photographe américaine Debbie Fleming Caffery et sa série Polly, car ici, si tout est matin du monde, tout est aussi interminable décrépitude, agonie, beauté vénéneuse.
A Santiago de Cuba, la Casa de la Trova est une institution cardinale, un lieu où se rassemblent des musiciens conscients d’incarner en leurs styles musicaux divers l’âme de leur pays.

Cuba est une île, mais c’est peut-être davantage encore une concrétion de sons, un tapis volant de notes, un monde flottant.
C’est ainsi que le rencontre Gilles Roudière, en un song disant la possibilité d’Eden et la déréliction, l’abandon et les lignes de vérité.

La mort rôde, mais aussi la grâce, dont nul ne sait, malgré ses mérites ou ses péchés, s’il en sera touché.
Il y a en ces pages troublées et enfiévrées de la fascination pour les primitifs de la photographie, comme si le monde apparaissait pour la première fois.

Déjà vus mais jamais vus encore ces cochons noirs, ces masures, ces bouts de carrosseries américaines, ces trains fendant la luxuriance.
Dans l’unus mundus d’images harassées de fatigue et d’éblouissements, il y a des soleils noirs et des corps de solitude frottant leur peau à la peau de porches de temples décatis.

Les enfants sont les maîtres de la rue, mais aussi le désir ne trouvant pas son assouvissement.
On se couche sur le carrelage frais, on imagine un cavalier de l’Apocalypse, une bassine trouée d’où tombe la pluie.

Passe un coq, peut-être bientôt égorgé.
Nous sommes ici au pays de la santeria, ce vaudou tropical dérivé de la religion yoruba, très active au Bénin.

Nous sommes au pays des transes de possession, quand à tout moment l’un peut devenir l’autre.
Qui est vivant ? Qui est mort ? Qui saura quel visage se cache derrière ce dos voûté poussant péniblement une carriole ?

Trova est une amulette permettant de traverser sans trop de dommages les envoûtements.
Il y règne un sentiment d’amor fati, un calme souverain dans les tempêtes, un exil intérieur permettant de regarder en face ce qui se trame dans le sombre et les danses de plein jour.

Trova se drogue à l’altérité, et à l’inconnaissable.
Son trébuchement est une science, un gai savoir, un chant muet.
Gilles Roudière, Trova, Lamaindonne, 2019, 160 pages – 100 photographies en bichromie
Exposition Gilles Roudière à la Galerie Confluence (Nantes) – du 1er février au 4 avril 2020, vernissage le 30 janvier