
Contre les conformismes, l’hypocrisie bourgeoise et le machisme, Valie Export, artiste autrichienne héritière des actionnistes viennois, utilise son corps et le médium photographique de façon expérimentale et provocatrice.
Incarnant par ses performances l’atmosphère fiévreuse de recherche et de déconstruction des années 1960 et 1970, Valie Export est l’une des grandes figures de l’art contemporain porté et réinventé par des femmes.
Le Pavillon populaire de Montpellier consacre aujourd’hui une exposition d’importance à cette exploratrice de l’Expanded Arts, courant artistique d’outrepassement des frontières formelles et esthétiques né aux Etats-Unis – Robert Rauschenberg et Robert Heineken y participèrent.

Happenings, gestes audacieux dans l’espace public, l’art est avant tout action, combat, engagement, création de dispositifs d’explosion.
Valie Export travaille, à même le film photographique ou la pellicule, par séries, déplacements, variations, et brusques embardées, dynamitant la conception trop simple d’une image témoignant de la réalité, lui offrant la possibilité d’occuper un pur espace mental, à la limite quelquefois d’une saisie hypnotique ou hallucinée de sa propre présence.

Crédits photographiques © Werner Schulz
Vienne est un carcan, une camisole de force, un crime en bande organisée, qu’il s’agit de ravager de l’intérieur en faisant tomber un à un les tabous sociaux, culturels, sexuels.
Qu’est-ce qu’un corps de femme dans une société structurellement répressive ?
Peut-on faire l’économie de la violence si l’on veut parvenir à des points de libération ?

Exposer le corps, parfois crûment, c’est exposer le délire de la société, mais aussi le propre, l’indemne, la part de sacrifice.
La vidéo sera un outil politique de retournement du regard vers soi, vers le tout autre, vers les mécanismes d’oppression.
La voici qui se présente, en veste de simili cuir et pantalon noir découpé à l’entrejambe, montrant ce qu’on s’efforce de dissimuler, et de ne surtout pas considérer tout en le convoitant sans cesse.

Filmant sa propre glotte par l’incorporation d’une caméra miniature (Turbulences of Breath, 2007), Valie Export renvoi la crudité de ses images à un régime pornographique dominant, quoique masqué par les lois de la respectabilité sociale.
Export expérimente, invente des flux temporels faits de saccades d’images, s’interroge sur le processus même de la production d’images à travers différents médiums, brouillant les repères et les codes de la visibilité fondés sur la logique de la perspective.
On se demande alors ce que l’œil perçoit vraiment, Valie Export mettant en question, selon l’historienne de l’art Brigitte Huck, l’omnipotence de la vision cyclopéenne, tout en citant le fameux ouvrage de Pierre Bourdieu, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie : « [on] sait que nous éliminons systématiquement tous les enregistrements qui ne coïncident pas avec une vision, non pas réelle mais artistique moyenne. Nous renonçons par exemple à prendre un édifice vu de près parce que l’enregistrement ne correspond pas aux lois de l’orthométrie traditionnelles. »

Valie Export ne renonce pas, ce problème de la perception, et de la compréhension par l’angle ou point de vue, faisant l’objet de ses recherches constantes.
Jacques Lacan de poursuivre admirablement, avec la complicité de Brigitte Huck : « Je ne suis pas simplement cet être punctiforme qui se repère au point géométral d’où est saisie la perspective. Sans doute, au fond de mon œil, se peint le tableau. Le tableau, certes, est dans mon œil. Mais moi, je suis dans le tableau. »
Valie Export, Expanded Arts, texte Brigitte Huck, éditions Hazan, 2019, 144 pages – 140 illustrations
Catalogue de l’exposition éponyme au Pavillon populaire de Montpellier – du 16 octobre 2019 au 5 janvier 2020