
Depuis Les passagers du Roissy Express, du duo François Maspero-Anaïk Frantz (Le Seuil, 1990), le livre de voyage ferroviaire en petite et grande banlieue est devenu quasiment un genre en soi, en témoigne encore récemment l’ouvrage de Marie-Hélène Bacqué et André Mérian, Retour à Roissy (Le Seuil, 2019), de la même manière que l’anthropologue Marc Augé écrivit Un ethnologue dans le métro (1986), suivi plus de vingt ans après de Le Métro revisité (2008).
Ayant entrepris d’aiguiser son regard en observant la ligne C du RER (40 ans le 30 septembre 2019), Clément Chapillon a relevé le défi d’une nouvelle exploration d’un parcours ferroviaire, bâtissant un livre d’attente et de mélancolie, photographiant essentiellement la vie se déroulant autour du passage du train.

Parce qu’on a construit une ligne à travers villes et campagnes.
Parce qu’il a fallu penser des escaliers, des parcours, des voies d’accès.
Parce qu’il a fallu aménager le territoire et organiser les chemins de vie, en brutalisant le sol pour la circulation de tous.

« La ville devient horizontale. Les immeubles parisiens se transforment progressivement en une marée de pavillons où subsistent quelques verticalités bétonnées. Puis des poches de verdure, des champs et des collines viennent s’ajouter à ce paysage mouvant. »
Intitulé sobrement Traversée, l’ouvrage de Clément Chapillon se déploie dans une palette chromatique très douce, entre l’absurde d’un selfie et le sourire d’une contrôleuse, l’inquiétude d’une technicienne et l’humour froid d’un distributeur de billets.


Le RER C ? « 7 des 8 départements Franciliens traversés, 62 km parcourus entre Paris et Saint-Martin d’Etampes, 531 trains par jour soit un train croisé toutes les trois minutes. »
L’humanité que montre Clément Chapillon est d’un calme souverain, patiente et travailleuse, contemplative et solitaire, en attente de rencontres peut-être, mais sans précipitation.
« Je suis le seul de la rame à regarder le paysage par la fenêtre. Quand les paysages deviennent quotidiens, ils n’existent plus, nos yeux sont comme usés. »

Maquetté avec une grande élégance, Traversée aime la diversité des visages et des origines ethniques, les ponts sur Seine et les gares de village hors d’âge.
Un jeune pêcheur au dos nu se gratte la tête, regardant encore une fois passer le train des affairés.
Il y a des barres d’immeubles, mais curieusement, dans les images du photographe, il semble y faire bon vivre.

Ici, c’est 2001, l’Odyssée de l’espace, là un film de Claude Chabrol, plus loin un plan d’Eric Rohmer.
Pas de Javert à Javel, mais de paisibles voyageurs vaquant à leurs occupations.
540 000 personnes par jour, quelqu’un lit, mais détrompez-vous, ce n’est pas un extraterrestre.


2500 employés de la SNCF – agents de matériels, agents commerciaux et agents mobiles, agents pour la maintenance, travaux et la gestion des circulations, agents de conduite, agents du service contrôle train, agents de la sûreté ferroviaire -, et si peu de bugs, au fond.
Barbes et chapeaux, lunettes de soleil et pantalons blancs, robe jaune et manteau noir, tatouages et couettes.
Voici le conte de la France contemporaine, on peut y être bien dans la différence.
Clément Chapillon, Traversée, textes Clément Chapillon & Emmanuelle Hervéou, design Fabien Fourcaud, Studio Unforesen, 2019

Lire mon entretien avec Clément Chapillon à propos de Promise me a Land