Vous adorez bien entendu Venise, cette cité sainte, mais la Vénétie ? mais Porto Marghera? et Mestre, Bassano del Grappa, Montebelluna, Pozzoleone ?
Entre 1984 et 1989, Guido Guidi voyage en Vénétie, photographiant comme à son habitude un territoire ayant échappé à l’objectif des touristes, un espace jamais vu, contenant pourtant un summum de vie.
Elève dans les années 1960 de Carlo Scarpa et Luigi Veronesi à l’Institut Universitaire d’Architecture de Venise (IUAV), Guido Guidi situe sa poétique photographique du côté des New Topographics, s’inspirant notamment pour son utilisation de la couleur des travaux de Stephen Shore.
Chez Guidi, que le moindre détail de réalité intéresse, l’ordinaire est de l’ordre d’un événement majeur, trouvant de l’émerveillement dans le mince, le simple, le non-spectaculaire.
Après Veramente (2014), Per Strada (2018) et In Sardaigna (2019), les éditions londoniennes MACK poursuivent leur important travail de reconnaissance, en dehors des frontières de l’Italie, de ce photographe majeur, ayant construit son œuvre en investissant les zones oubliées de son pays.
Explorer la marge, la périphérie, l’infra, relève d’une volonté de se réapproprier la beauté du hors-champ, et de bousculer les hiérarchies dans le domaine des représentations dominantes.
Le caillou plutôt que la carte postale, le terrain vague plutôt que la piazza sublime, l’immeuble délaissé plutôt que la villa patricienne rénovée.
Il y a dans le quotidien, en dehors des chemins balisés de la beauté officielle, des trésors inaperçus pour qui accepte de déplacer son regard et d’accueillir le familier comme un don.
Né en 1941 à Cesena (Emilie-Romagne), Guido Guidi a vu le basculement de son pays dans la société du Spectacle et de la vulgarité marchande.
A la façon d’un moraliste discret, son œil s’attache à contempler la magnificence d’un grille de fer rouillée fermant un magasin définitivement abandonné, métaphorisant ainsi le destin des puissants du jour, moins solides qu’une mauvaise herbe poussant entre deux pavés disjoints.
Avec le temps, les voitures multicolore de la force de frappe industrielle italienne se sont patinées, devenant des aplats de couleurs, et des documents historiques.
Entre le mercato et la posta, il y a un angle de rue admirable, mais qui le percevra ?
Tout est là et tout s’efface, tout est en instance de départ, nimbé de mélancolie.
A la façon d’un Wanderer romantique trouvant l’infini dans une rue banale de la banlieue de Padoue, Guido Guidi entre dans le paysage comme on cherche la place la plus juste pour ne pas en dérager l’harmonie.
Echos des images, échos des lumières, échos des lignes entre lesquels nous inscrivons nos corps.
Peinture métaphysique de l’architecture de notre quotidien, la photographie de Guido Guidi est à certaines égards matissienne, célébrant avec beaucoup de douceur – à l’aurore ou au crépuscule – la chance d’être au monde, peu de matière pensante, sensible et agissante au contact d’un monde essentiellement vide.
In Veneto est un vaste satori, calme dans l’éblouissement, trouvant l’unité de toutes choses dans une simple scène de bord de route.
Un homme repeint de blanc un poteau métallique, une montagne renaît au printemps, des volets se ferment, puis s’ouvrent, des voitures sont à l’arrêt depuis longtemps.
Les enfants eux-mêmes, philosophes modestes, semblent suspendus dans le temps.
Guido Guidi photographie un pays marqué de toutes parts par la grâce, jusque dans son délabrement, ou les marques de sa modernité, antique déjà.
Son livre est évidemment un autoportrait.
Guido Guidi, In Veneto, textes de Stefania Rössl et Mariano Sartore, 1984-89, MACK (London), 2019
Le blog de Fabien Ribery 