
Ce livre intitulé Smoke pourrait être le rêve d’une cigarette.
Un rêve tourmenté habité de visages graves et de paysages inentamés, grandioses, intimidants.
Les images rassemblées par le Suédois Theo Elias sont splendides, glacées, solitaires, et de feu intérieur.

La matière est sensuelle, âpre, frappée du sceau de la mélancolie.
On s’embrasse, on s’étreint, on se déchire, on s’éloigne, la vie nous consume, nous épuise, nous éteint, et nous jette avec violence les uns contre les autres, bloc de chair contre bloc de chair, pierre contre pierre, blessure contre blessure.
Nous sommes fumés, enfumés, piégés, nous partons en fumée.

Prises entre 2011 et 2016, les photographies de Smoke sont puissantes et silencieuses, plaçant dans le sublime d’une nature de fin du monde des personnages semblant attendre l’Apocalypse.
On rit fort pour masquer sa peine, et l’on boit fort pour ne pas avoir à se souvenir d’être respectable.
L’amour existe, oui, peut-être, quelques heures.

Au bout de la route, il y a des falaises, des colonies d’oiseaux battus par la tempête, une voiture échouée, le regard d’un chien psychopompe.
Le bar est vide, il n’est pas encore temps de se désennuyer totalement.
Il y a des chemins de neige dans la brume, des chemins de câbles de télécommunication inutiles, et des mottes de terre accumulées dans la lande fouettée par le vent.

Il faut se tenir debout tant bien que mal dans la chute et la désespérance, en s’appuyant s’il le faut sur l’étai d’une cigarette.
Nous ne sommes pas encore des fantômes et persistons à être.
Réunissons-nous peut-être une dernière fois, un dernier soir, dans la ville sans nom, et offrons-nous le temps d’un hors-champ, d’un baiser, d’un geste de fraternité, d’une clope.

La vie peut nous frapper, nous brûler, nous défigurer, nous sommes les derniers oiseaux d’une nuit interminable.
Nous sommes au bord des royaumes infernaux peuplés de sphinges nues.
Apprêtons-nous à traverser ensemble pour un ultime voyage les ténèbres et les pleurs.
Theo Elias, Smoke, textes Theo Elias et Annika von Hausswolff, La Fabrica (Spain), 2019

