Le temps, l’exil, la présence, par Jean-Jacques Gonzales, photographe

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3 _l'admirable bois dormant_ (déjà I, 7)
© Jean-Jacques Gonzales

« La photographie ne ferait qu’épaissir le voile qui (me) sépare du monde en le rendant visible ; ce faisant, elle pourrait se donner les moyens de l’outrepasser. » (Jean-Jacques Gonzales)

Je ne trouve pas le temps d’écrire sur chacun des volumes des éditions d’art strasbourgeoises L’Atelier contemporain, mais chaque ouvrage devrait être l’objet d’un long article, tant ils sont merveilleux visuellement, riches de propos, intelligents dans leur conception.

Ils sont là, en attente, derrière moi, sur une table en bois brut.

11 _arbre aussi vulnérable que superbe_
© Jean-Jacques Gonzales

Quelques titres – et chroniques à venir, je l’espère : Ecrits de chambre et d’écho, de Gérard Titus-Carmel, Pas encore une image, de Jean Daive, Le chef-d’œuvre inutile, de Camille Saint-Jacques et Eric Suchère, Ouvrir le feu, correspondance croisée 1933-1983, de Pierre Matisse et Joan Miro, Talus et Fossés, de Camille Saint-Jacques, Peintures non peintes, de Thieri Foulc, Jérémy Liron, Récits, pensées, dérives & chutes, par Armand Dupuy.

Mais d’abord, Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales, par l’essayiste, professeur et traducteur lyonnais Jérôme Thélot, élève d’Yves Bonnefoy, passeur d’une œuvre qui constitue pour moi une enthousiasmante découverte.

16 le merveilleux vallon
© Jean-Jacques Gonzales

Co-directeur, auprès de Mathilde Ribot, des éditions Manucius (excellent catalogue), Jean-Jacques Gonzales conçoit la photographie comme dépôt de réalité et surcroît de présence, cherchant à l’atelier, dans la fabrique du tirage, à retrouver quelque chose de l’ordre d’une émotion créée par les Primitifs de la photographie.

Opérant un fin travail d’effacement permettant de rendre palpable la puissance même du temps, entre mélancolie, deuil et grâce, le photographe né à Oran en 1950 – voir la série Profils perdus, qui n’est pas ici le titre d’un livre de Philippe Soupault, mais une tentative de résurrection des lieux perdus de l’enfance à partir d’anciennes photos de famille -, cherche la rencontre, à la façon de Benjamin, entre le proche et le lointain.

N’acceptant pas la déperdition de l’aura de l’image par les moyens de la reproductibilité technique à l’époque de l’industrialisation des lignes du visible, Jean-Jacques Gonzales pense le laboratoire comme fabrique de mystère.

22 _ces fleurs sitôt fanées_
© Jean-Jacques Gonzales

Il y a chez lui une sensation persistante de la Nuit étoilée de Van Gogh, soit une position absolue concernant le spectacle de l’extraordinaire du ciel et de la petite place humaine dans le grand concert des astres.

Ses Tournesols sont surmontés d’une concrétion noire, bloc de langage mallarméen incarné dans le béton du foin, structure extradiégétique arrimée au champ telle une pure étrangeté.

La courbure de la Terre invite à la caresse comme aux élans méditatifs.

2018_11_14 - grand
© Jean-Jacques Gonzales

Des escaliers brisés, des sillons profonds dans les broussailles, les chemins qui ne mènent nulle part sont de haute science, se rappelant peut-être les pas de Segalen et de Rimbaud, de Claudel et de Saint-John Perse entré en anabase.

Il ne faut pas aller loin pour dialoguer avec l’arbre fraternel étendant les bras, ou le bouleau ébouriffé, ou les drolatiques platanes semblant attendre Godot.

Il y a des brumes romantiques pour le Wanderer, et des sécheresses de palmier pour l’exilé intérieur entré au désert.

Tout est là, mais tout est double, nimbé de matière spectrale, le bouquet de fleurs comme les branches chues sur le passage.

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© Jean-Jacques Gonzales

Des végétaux s’extasient, percent les ténèbres : « Pencil of Nature », disent-ils depuis l’invention de la photographie.

Les labours sont des mers, des pontons s’avancent dans le ciel, et les bosquets bruissent d’une présence fantomale.

La nature est un temple où, chez Baudelaire comme chez Jean-Jacques Gonzales, de vivants piliers maintiennent active la possibilité du vide.

Les humains ne se sont pas absentés des images, mais, pour une fois, se font très discrets.
Les voilà sous le soleil du Maghreb, coupés à la verticale, sur le bord du cadre, mi-corps avançant sans visage, telle une énigmatique armée des ombres.

Les paysages, de fleurs, de mers, de terres, de campagnes, de montagnes, sont des demeures premières où reprendre vie.

« A vrai dire, analyse brillamment Jérôme Thélot, Jean-Jacques Gonzales s’enracine dans une expérience photographique si intime à sa vie et si ancienne qu’il faudrait pour la comprendre herméneutique existentielle, non seulement parce qu’elle lui vient de sa prime enfance (du temps où il communiait avec sa famille aux rituels des séances de pose dont son père était l’officiant révéré) mais aussi parce qu’elle procède de l’infantile, qui est cette région de l’esprit d’où elle réclame son perpétuel recommencement. »

Dans son journal photographique intitulé La fiction d’un éblouissant rail continu, l’artiste définit ainsi sa poétique : « ça se trouve , entre absence et présence. »

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Jérôme Thélot, Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales, L’Atelier contemporain, 2020, 200 pages – 100 illustrations couleurs

Editions L’Atelire contemporain

2018_10_07 - grand
© Jean-Jacques Gonzales

Jean-Jacques Gonzales

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Se procurer Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Barbara dit :

    Un bosquet qui bruisse, cela s’appelle un bruisson…
    D’ailleurs tous les buissons devraient s’appeler bruissons je crois
    Merci lintervalle

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