
Publié dans le cadre de la troisième édition des Rencontres photographiques de ViaSilva – conjointement à l’ouvrage Ce que pensent les lierres, de Mouna Saboni (texte Fabien Ribery) – De Agua présente le travail photographique réalisé par Jeremias Escuderos sur le site d’un chantier aux abords de Rennes (construction d’un écoquartier d’envergure) dont les différentes étapes sont documentées de façon libre par des artistes.
Dans un texte de belle tenue, Pascal Therme décrit ainsi le projet, éminemment personnel, du photographe mexicain : « C’est sous la forme d’un conte visuel qu’il articule un croisement des imaginaires issus des traditions mexicaines et des contes ancestraux des forêts de Bretagne. A travers ses autoportraits, Les cerfs bleus, il rend compte de cette quête où se recouvrent et se découvrent deux traditions », initiatique et chamanique.

Il s’agit ici d’évoquer les esprits de la forêt à travers la présence incongrue d’un personnage quasi nu couvert de peintures rituelles évoquant, en Ille-et-Vilaine, des correspondances belles et étranges avec la culture huichole.
Evoluant parmi les habitants et les ouvriers du chantier, cet être fantastique paraît aussi épouvantable que drôle, le heurt entre quotidienneté bretonne et présence surnaturelle d’une entité mexicaine extravagante produisant chez le spectateur une sorte de rire bouffon contenu.

Mais attention, si Jeremias Escudero semble parfois ironiser et jouer avec les codes des peuples des forêts animistes, à la façon d’un ethnologue fantasque, son ambition est avant tout de rappeler que la terre que l’on fouille et retourne avant d’y édifier des bâtiments profanes est d’abord un espace sacré, habité de créatures mystérieuses lui donnant toute son âme.
De Agua invite donc le spectateur à considérer avec la plus grande précaution des lieux promis à une transformation majeure, en tenant compte de l’équilibre ténu entre puissances terrestres et énergies supérieures.

« Cela ressemble, poursuite Pascal Therme, à un film muet, à la Keaton, décalé, sauvage, ironique, mystérieux, sérieux. Une histoire sans paroles se déroule devant notre regard interdit, comme un rêve. Il semble, pourtant, qu’une communion se soit faite entre la terre rouge ou jaune, l’herbe verte et soyeuse, les arbres à la sensualité printanière des feuillages, la rivière, ces portraits, regards levés vers le ciel, cette maison en ruine, l’offrande faite au pont sorti de terre. »
Le contraste entre le prosaïque d’un chantier et la poétique de l’invisible incarné par un trublion pince-sans-rire est ainsi d’une force visuelle saisissante.

Une carte est dépliée, des arbres tremblent, la nature est inquiète.
Il y a soudain comme une stupeur face à la présence carnavalesque d’un Indien sur le pied de guerre.
Nous sommes à Cesson-Sévigné, c’est-à-dire là-bas, dans la Sierra Madre occidentale.
Jeremias Escudero, De Agua, texte Pascal Therme, conception éditoriale Richard Volante et Yves Bigot, direction Les ailes de Caïus, Les Editions de Juillet, 2020, 96 pages
Mouna Saboni, Ce que pensent les lierres, texte Fabien Ribery, conception éditoriale Richard Volante et Yves Bigot, direction Les ailes de Caïus, Les Editions de Juillet, 2020, 96 pages
Se procurer Ce que pensent les lierres

Très bel découverte, encore, entre incongruité presque burlesque et puissance de vivant dans ce qu’elle peut avoir de meilleur et de plus inquiétant. Merci
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