
C’est un projet éditorial très ambitieux, assez fou, proposé aux membres du collectif Tendance Floue pour les campagnes photographiques du City Guide Louis Vuitton de 2013 à 2019.
C’est une aventure aux dimensions du monde, quatorze photographes ayant sillonné trente métropoles au gré de cinquante-cinq voyages réunissant près de quatre mille images.
Paraît aujourd’hui une édition de grand format, graphiquement très impressionnante, sophistiquée, luxueuse, de l’ensemble des travaux du collectif de Montreuil, offrant à chaque esthétique une visibilité de choix.
© Tendance Floue
« Ce travail, précise Muriel Enjalran, critique d’art et commissaire d’exposition, directrice du CRP / Centre régional de la photographie Hauts-de-France depuis 2015, permet de mesurer les mutations en cours, d’enregistrer les mouvements tectoniques et l’énergie tellurique des grandes cités. En dignes héritiers de la street photography, ils prolongent une histoire de la photographie ouverte sur son temps et les enjeux de nos sociétés urbaines, tout en produisant des images qui dépassent le sujet documentaire, et dont les recherches esthétiques tendent à une forme d’intemporalité. »
Il ne s’agit pas bien entendu d’être exhaustif, de ne manquer aucun site touristique, mais d’assumer un regard, de montrer la ville comme un espace organique, vivant, aimantant habitants et bâtiments.
Emmanuelle Kouchner a posé à chaque artiste pérégrin une petite dizaine de questions récurrentes, décrivant avec beaucoup de pertinence chaque style photographique : Si vous faisiez un pas de côté ? Si vous étiez une atmosphère ? Si vous étiez une foule ? Si vous étiez une architecture ? Si vous étiez un paysage ?…
© Tendance Floue
Pascal Aimar (Moscou, Sydney, New York, Taipei pour les City Guide) : « Je regarde le monde comme un enfant collé à la vitrine d’une boulangerie, dévorant les gâteaux des yeux. »
Thierry Ardouin (Séoul, Istanbul, Prague) : « Je suis un garçon plutôt discret, je deviens invisible aux yeux des autres, sans doute un défaut pour vivre en société, mais une qualité pour un photographe. »
Denis Bourges (Rio de Janeiro, Shanghai, Los Angeles) : « Je marche tout le temps, sauf à Los Angeles, quand on sait que Sunset Boulevard fait plus de 39 kilomètres… »
Gilles Coulon (New York, Amsterdam, Rome) : « J’aime ces moments où j’ai le sentiment de faire partie de la ville. »
© Tendance Floue
Olivier Culmann (Miami, Singapour, Chicago, Tokyo) : « Le plus bel endroit d’un voyage ne se trouve jamais dans un guide, il résulte d’une alchimie indéfinissable entre un lieu, nos ressentis et le moment vécu. Il ne peut se prévoir et s’avère souvent anodin ou sans intérêt pour les autres. »
Ljubisa Danilovic (Paris) : « Je suis le point de vue de l’étranger, toujours et où que j’aimme. Ailleurs, comme ici. »
Grégoire Eloy (Londres, Los Angeles) : « Je m’imagine, tel Spiderman sur Hollywood Boulevard, proposer aux touristes de poser pour une photo, et découvrir ébahi au milieu de la foule que j’ai de vrais super-pouvoirs photographiques. »
Mat Jacob (Tokyo, Shanghai, New York, Madrid) : « Bien que les villes soient l’avenir de l’homme, la vie dans les villes n’est certainement pas l’avenir de l’humanité. »

Bertrand Meunier (Hong Kong, Shanghai, Paris) : « Ne pas juger, ne pas avoir d’a priori. »
Meyer (Pékin, Sao Paulo, Bangkok, Paris) : « Je suis insolite, tout est insolite, le monde est totalement insolite et même la photographie n’arrive pas à se répéter. »
Philippe Lopparelli (Londres) : « Je me concentre sur des lieux où le temps n’est plus celui de la marche habituelle du monde. »
Flore-Aël Surun (Mexico, Paris, San Francisco) : « Je me sens reliée à tous les autres photographes, partis eux aussi en exploration d’une ville parfois inconnue. Je me sens habitée par leurs présences, leurs expériences. »
Patrick Tournebœuf (Venise, Berlin, Rome, Paris, Lisbonne) : « Je suis nourri de références, autant photographiques que littéraires, cinématographiques, architecturales, de peintures, de bande dessinée… »

Alain Willaume (Le Cap, Milan, Londres, Hong Kong, Paris, Tokyo) : « La photographie se nourrit du frottement de l’actuel, du possible et de l’éthique. C’est la tension farouche entre ces trois pôles que j’essaie de rendre palpable. »
Se présentant en blocs, selon neuf catégories – travelogue / work / black / limits / colour / power / white / style / out -, les images ne sont pas directement légendées, l’amateur pouvant se rendre s’il le souhaite à la fin du volume pour élucider le mystère des noms et des lieux exposés.
L’impression est donc celle d’un flux, d’un continuum, d’une vaste énergie mondiale, d’un réseau de correspondances et de contrepoints.
© Tendance Floue
Des brumes, des forêts d’immeubles, des solitudes avalées par des agoras désertes.
Des édifices religieux et des constructions païennes défiant le ciel.
Des comportements grégaires, des gestes de folie, de la production d’hommes en série.
Des girls, des voitures en file indienne (à droite se trouve l’embranchement pour Pasadena), la jungle des villes.
Des ciels tragiques, menaçants, pesants.
Des tendresses de métros, des jambes, des grues, des mallettes de business men.
Des pluies de buildings, d’êtres, de béton.
Des échafaudages, des escalators, des escaliers.
© Tendance Floue
Des mélancolies, des attentes, des désirs.
Des silhouettes, des fantômes, des ténèbres.
Des conciliabules, des secrets, des rendez-vous discrets.
Sur papier glacé, en couleur, les villes paraissent sans danger
Villes du monde est plus qu’un livre, c’est un vertige de pas, d’édifices, de visages, de climats, de situations.
On s’y promène comme dans un labyrinthe, dont les parois forment les contours de nos beautés et de nos égarements.
Tendance Floue, Villes du monde, photographies de Pascal Aimar, Thierry Ardouin, Denis Bourges, Gilles Coulon, Olivier Culmann, Ljubisa Danilovic, Grégoire Eloy, Mat Jacob, Philippe Lopparelli, Bertrand Meunier, Meyer, Flore-Aël Surun, Patrick Tournebœuf, Alain Willaume, président Michael Burke, directeur éditorial Julien Guerrier, éditeurs Emmanuelle Kouchner, Anthony Vessot, Valérie Viscardi, auteurs des textes David Chandler, Muriel Enjalran, Emmanuelle Kouchner, design graphique ABM Studio, récit photographique Alain Willaume et Meyer pour Tendance Floue, éditions Louis Vuitton, 2020, 520 pages