PDUT927-1811261337 (Van Ruysdael), 2019, de la série Compositions catalytiques, 2018-2020, Tirage ultrachrome, 41×46 cm © Laurence Aëgerter
Si je me suis précipité au MuMa du Havre pour y voir l’exposition Nuits électriques (travail remarquable de la directrice Annette Haudiquet) la veille du confinement, je n’ai malheureusement pas eu le temps de me rendre au Petit Palais (Paris) pour Laurence Aëgerter, Ici mieux qu’en face.
Malicieusement titrée (en face, c’est le Grand Palais, l’officialité, les pompes, la puyssance), cette exposition rétrospective de l’artiste hollandaise proposant également des œuvres inédites est aussi l’objet d’une monographie passionnante pensée par Fannie Escoulen, et publiée avec soin par Actes Sud – le temps de patienter.
PPP2576-2006291711 (Both), 2020, Tirage ultrachrome, 93×130 cm © Laurence Aëgerter
Le principe général, dérivé du surréalisme, est celui des associations d’idées, de formes, et des correspondances entre œuvres muséales et œuvrettes.
Mêlant grande et petite histoires de l’art, se saisissant, sans souci de les hiérarchiser, des matières qui l’inspirent – dictionnaires, pages d’encyclopédies, archives diverses, images trouvées sur internet, photographies… -, Laurence Aëgerter cherche des échos, des résonances, s’enchantant de tout, s’amusant de ses appariements, proposant au spectateur un plaisir vagabond.
Photographic Treatment ©, PHT #187, 2016, Tirage ultrachrome sérigraphié au parfum de rose, © Laurence Aëgerter
Il y a ici des jeux de trompe-l’œil, des allées et contre-allées, des disséminations, des déterritorialisations, des libérations de potentialités.
La porosité est générale, l’un est l’autre, l’autre est l’un, avec l’un, avec l’autre, dans un grand brassage des temporalités vécues au présent duratif.
On peut chercher à mettre des noms sur les pièces choisies – tel tableau de Van Ruysdael, telle photographie de Claude Lévi-Strauss au Brésil… -, mais peu importe.
Photographic Treatment ©, PHT #131, 2016, Tirage sérigraphié au parfum de menthe poivrée, © Laurence Aëgerter
L’imagination est reine, véritable sujet de l’exposition.
A la façon de Julia Kristeva, Taco Hidde Bakker évoque le multivers de l’artiste : « Les déplacements subtils de Laurence Aëgerter dans les espaces de l’imagerie vernaculaire et des arts plastiques livrent une sorte de modèle de son fonctionnement intellectuel, montrant que l’art ne peut prospérer que si nous continuons à interagir avec lui de manière inattendue. »
Confetti, 2019, 58 038 confettis, imprimés en double face © Laurence Aëgerter
Quelques exemples :
Une cabine de prostitution de l’Amsterdam dite rouge sur laquelle Laurence Aëgerter projette l’image d’une piscine ou d’un terrain de golf.
La transformation d’une cellule fermée d’isolement psychiatrique en pépinière éphémère.
La modification d’une tapisserie ancienne pour en faire apparaître des présences fantomatiques, fantomales.
Interversions, superpositions, renversements, décalages, collages, nouveaux scénarios, forment l’univers poétique de l’artiste en liberté.
Digitalis ambigua i.a. – Normandy, France, de la série Healing Plants for Hurt Landscapes, 2015 © Laurence Aëgerter
Toute son œuvre est ainsi, comme le précise Léa Bismuth, une vaste « hantologie », une croyance dans l’archive comme puissance ésotérique, réserve d’esprits, habitat de fantômes à déranger, débusquer, lever, l’art étant considéré comme dialogue privilégié avec le grand mystère de la présence des êtres et des choses, toujours au moins doubles.
Prenez soin de vous, et peut-être d’abord de votre imaginaire.
Laurence Aëgerter, Ici mieux qu’en face, monographie sous la direction de Fannie Escoulen, textes de Fannie Escoulen, Léa Bismuth, Taco Hidde Bakker, Susana Gallego-Cuesta, ouvrage trilingue (français/anglais/néerlandais), Actes Sud, 2020, 256 pages
Elinga, de la série Compositions catalytiques, 2018 © Laurence Aëgerter
Exposition Ici mieux qu’en face au Petit Palais (Paris), du 6 octobre 2020 au 17 janvier 2021 (vérifier les dates)