« La vie ce petit inventaire merdouilleux » (Thomas Vinau)
L’humour apocalyptique sied bien au philosophe pince-sans-rire de l’accident et des pollutions systémiques, Paul Virilio, cité en exergue du roman (oui, si l’on veut, à la façon du caoutchouc) de Thomas Vinau, Fin de saison (Gallimard, collection Sygne) : « La fin du monde est un concept sans avenir. »
Dix parties comme autant de stations, ou de numéros de séries, et des chapitres/épisodes d’une page, format d’écriture propice quand les enfants font la sieste, ou tout autre configuration d’emploi du temps menacé par la dérive des continents.
L’incipit cogne, qui réveillerait un député En Marche siégeant un vendredi après-midi à l’Assemblée nationale : « Je m’appelle Victor et je nous emmerde. Pas que vous hein, moi aussi, tout le monde. Aucune discrimination à l’embauche. Vous allez me dire que je suis un peu belliqueux, c’est pas faux. Disons qu’il y a des jours avec et des jours sans. Ou des années avec et des années sans. Ou des vies entières avec et des vies entières sans. Alors parfois je veux bien tendre la joue, mais d‘autres fois j’envoie le front. Direct. Ça fait une sorte d’équilibre, ou mieux une impression de mouvement. »
Ton de dialogue à la Audiard, saillies en cascade façon théories de mamelles porcines, inquiétude transformée en fanfaronnade.
« Bref, c’est pas le sujet. Le sujet c’est que le monde est parti en sucette. »
On l’attend depuis longtemps la fin du monde, mais quand elle est là, on est tout con, penaud, Gros-Jean comme devant finalement.
Un papa qui bricole/picole, un lapin Cuni/Cono, un cleps, des gosses, et patatras le disjoncteur qui saute, la fin des haricots.
Fin de saison se lit comme on écouterait une bonne fiction radiographique sur France Q, quelques minutes avant l’heure des infos.
Tous survivalistes ? Pourquoi pas, on a connu plus bête.
Préparer le sac de secours (le Catakit), agir rationnellement, consulter les sites idoines pour les futurs iguanes, transformer la cave en abri antiatomique.
Energie du désespoir, l’humour omniprésent est aussi celle de l’écriture, des formules, des traits bien empennés : « Notre père qui êtes aux cieux allez bien vous faire enculer. Amen. » / « Ah tu crois que le temps qui passe est une belle saloperie ? Tu vas voir qu’il y a pire mon cochon. Bien pire. Y a le temps qui s’arrête juste au moment où t’as le doigt coincé dans la porte. »
Robinson de 50 ans, le narrateur n’abandonne pas tout à fait l’idée de civilisation, c’est-à-dire de langage.
« Merci aux inutiles, aux bidons et aux foireux (on vaincra on est les plus nombreux). »
Il faut imaginer Thomas Vinau prendre le micro, lancer ses feuilles après les avoir lues en public, danser un peu, se servir un verre de vin, et ne rien dire quelques minutes en regardant droit dans les yeux une spectatrice déjà amoureuse.
En chaque début de chapitre, le romancier collapsologue a choisi avec soin une citation d’un auteur majeur.
Toutes sont géniales, bien entendu inventées.
Charles Bukowski : « Il faisait 17 degrés et il ne restait pas grand-chose du monde. »
Arno Schmidt : « En tout cas, l’axe du fauteuil pivotant du Sous-Préfet n’est pas celui de la terre. »
Pierre-Autun Grenier : « Jeunesse dure, mon amour, l’instant d’un incendie de poubelles ! »
Samuel Beckett : « Je n’aime pas que l’ombre s’atténue, c’est louche. »
Léo Malet : « Il y avait vraiment nauséabondance. »
Thomas Vinau : « La prochaine apocalypse faudra juste que je pense à prendre des piles. »
Ben oui.
Thomas Vinau, Fin de saison, Gallimard, collection Sygne (dirigée par Thierry Laroche), 2020, 190 pages