
Après Dessins d’ailleurs paru en 2010 (six années de voyages en Egypte, au Vietnam, au Costa Rica, au Canada, en Ecosse, au Maroc, en Croatie…), et Esprits d’ailleurs (dessins d’Afrique du Sud, de Tahiti, d’Algérie, de Suisse, du Japon, de l’Utah), les éditions La Table Ronde publient Aux antipodes du formidable coloriste et maître du fusain Jacques de Loustal.
Il s’agit cette fois de plus de deux cents dessins, d’huiles et d’aquarelles, inspirés de voyages dans quelques Finistères ou extrémités de notre globe terraqué, Terre de feu, Islande, Floride, Canaries, Brasilia, Les Pouilles, îles grecques…

C’est un bel ouvrage souple de format italien, conçu comme un calme devisement du monde.
« Dans la bibliothèque familiale, précise en préface Jacques de Loustal, étaient rangés, parmi de nombreux ouvrages ennuyeux, quelques livres de voyage d’un autre siècle, regorgeant de gravures exotiques et spectaculaires devant lesquelles je m’émerveillais, et qui m’ont donné aussi bien le goût du voyage que celui du dessin. »
On songe à Nicolas Bouvier penché sur ses atlas, et à tous les enfants fascinés par les couleurs et lignes de cartes de géographie, au refus de grandir bêtement avec les adultes.

Un village d’altitude protégé par quelque cordillère, un voilier mouillant dans une baie, le fusain saisit les vents et les sommets, les grandes solitudes et les pitons tropicaux.
Les hommes sont des virgules obstinées plantées dans la vastitude, contemplateurs contemplés par des paysages généralement grandioses, intimidants et protecteurs, comme la robe ouverte de la Madonna del Parto de Piero della Francesca, cette origine du monde.
Il faut trouver sa place parmi les glaces, les roches et les cachalots.

Près d’un bateau échoué sur une grève passent trois manchots anthropomorphes, silhouettes beckettiennes hagardes et burlesques.
Les couleurs sont douces, témoignant d’une unité, d’une paix, d’une concorde entre les oiseaux et les flots, les ciels et les mers.
Hommages à l’aquarelliste briochin Yvon Le Corre, à Bruce Chatwin, aux grands nomades.

Il y a quelque chose ici d’une robinsonnade fabuleuse, fabulée, dans la présence, presque magrittienne, des nuages suspendus.
On lit, on rêve, et un jour, peut-être un peu plus clair que les autres, ou plus désespéré, on se décide pour le large.
Aux antipodes est un diary enchanteur et souvent amusé (moi, ici, avec mon bonnet de laine, au cap Horn ?) que l’on imagerait bien sur la table de chevet de Bernard Plossu.
Tiens là-bas, regardez passer notre frère à tous, le cochon sauvage.
Il y a parfois des légendes – « Dialogue en jaune sur le bord du détroit de Magellan. » -, mais pas toujours, il ne faut rien alourdir, nous ne sommes pas à l’école.

« Beb-Deum nous fait croire qu’il rentre de la pêche, alors que c’est une gousse de palmier local ! »
On est bien ici, parmi les banians et blocs de béton de Brasilia, ville dessinée par Oscar Niemeyer, où l’on trouve des centres de réadaptation pour jaguars captifs.
Se réadapter à la vie sauvage, n’est-ce pas le projet de toute une existence ?
Nouveau départ : « L’archipel des Canaries, perdu au milieu de l’Atlantique, m’a toujours rappelé les histoires de Philémon dessinées par Fred, où le héros se promène sur les îles formées par les lettres du mot ATLANTIQUE (voir « Le naufrage du A »). »
Grandes clartés, étendues minérales, mer de nuages vers le pic du Teide.
En Islande, Loustal rencontre un grand manchot de bronze, autre lui-même.
Voyager hors-saison, quand les parasols sont retournés, quoi de mieux ?
Aux antipodes est un livre intime, où un chat galeux rencontre un maquereau mort, dans la fusion des espaces du dehors et du dedans, du fusain et de l’aquarelle.
Jacques de Loustal, Aux antipodes, La Table Ronde, 2020, 184 pages
Jacques de Loustal est représenté par la galerie Huberty & Breyne (Paris, Bruxelles)
Antipodes, exposition (Bruxelles), du 5 septembre au 26 septembre 2020