©Film Documents LLC, courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne
Présente-t-on encore Helen Levitt, photographe américaine de grande classe décédée à New York en 2009 à l’âge de 95 ans ?
Très attentive comme Walker Evans à l’humaine condition, elle a observé comme personne les enfants jouant dans la rue, dans des scènes à la limite du surréalisme, ou du burlesque qu’elle admirait tant.
Photographiant au Leica, comme Henri Cartier-Bresson, il semble qu’elle aussi soit une adepte de l’instant décisif, qui au fond est toujours magique.
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Elle qui ne voyagea qu’une seule fois à l’étranger – au Mexique – a photographié New York en couleur dans les années 1960, c’est une grâce.
James Agee, avec qui elle travailla, la présente comme une artiste lyrique. Oui, si l’on considère que la noblesse des sentiments et l’attachement spontané aux êtres regardés dans leur diversité et le génie de leurs gestes priment sur toute forme de calcul.
Un Photo Poche, présenté par l’historien de l’art Jean-François Chevrier, nous permet de redécouvrir en quelques dizaines de photographies emblématiques l’étendue de son œuvre.
« Dès l’adolescence, écrit-il, encouragée par l’exemple maternel, elle opta pour une attitude de curiosité et d’empathie sociale, qui détermina son intérêt pour la photographie. Mais elle ne se rallia jamais à aucun programme activiste. »
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Personnalité discrète du monde de l’art, Helen Levitt, qui tint à garder son indépendante, s’est beaucoup intéressée aux enfants par ce qu’ils témoignent d’une vie libre, débarrassée du carcan du regard adulte.
Dans Spanish Harlem ou du côté du Lower East Side, ils jouent avec des craies, avec l’eau du caniveau, avec des rubans, avec un tricyclique.
L’un grimpe à un arbre, masqué comme un bandit, tandis que d’autres jouent à sa bagarrer avec des branches d’arbres.
Le théâtre est permanent, il est léger, cruel, populaire.
On rit, on s’étreint, on s’embrase, et, lorsque l’on est plus grand et que l’on maîtrise les codes de la séduction, l’on attend l’âme sœur avec un air hautain.
La rue est Black, pauvre, indocile.
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En couleur, c’est une féérie d’autre fois : Coca Cola, ice cream, petits pans de murs aux briques vertes.
Aplat coloré d’une cabine téléphonique, d’une voiture, d’un pantalon.
Les photographies effectuées au Mexique sont plus rudes socialement, les corps y sont à l’abandon, presque fous.
On se couche sur le trottoir, on ne se relève pas, à quoi bon ?
A New York, John Cassavetes apprend dans la rue son meilleur cinéma : ce sera bientôt Gloria.
Chacun trafique, bricole, invente des bulles de savon.
Jamais mièvre, la tendresse s’appelle alors Helen Levitt.
Helen Levitt, texte Jean-François Chevrier, Photo Poche, Actes Sud, 2021, 144 pages – 73 photographies
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