©François Daireaux
Ayant réussi l’exploit d’être une dictature de communisme de marché sauvage, la Chine est une avaleuse de contrastes.
Un pays beau et monstrueux, ne cessant de construire, d’abattre, de remanier, d’édifier sur fond de néant.
Est-ce ainsi que les hommes vivent, bâtissent, se rassemblent ?
Est-ce ainsi que l’esprit humain s’incarne ?
Est-ce ainsi que nous remercions la Terre-Mère de porter le fardeau de notre corps ?
©François Daireaux
Discover, livre de photographies aux tonalités cependant parfois plus douces et introspectives que les quelques lignes qui précèdent, peut-être trop rapides, est un ouvrage de grand format de François Daireaux, dont la connaissance de la Chine est profonde.
Ayant été au contact de plus d’une centaine de villes peu connues des étrangers – de Anshan en 2004, dans le Nord-est, à la région ouïghoure en 2018 -, l’artiste attentif aux logiques d’exploitation tous azimuts – de l’humain et des territoires – nous offre le portrait d’un pays ravagé, avili, détruit, où les vies minuscules des habitants semblent bien peu compter.
Ponctué par vingt-cinq textes courts écrits sous forme de poèmes par le sinologue Emmanuel Lincot, cet album à bien des égards sidérant questionne notre folie, notre hubris, notre barbarie.
©François Daireaux
Les buildings sont des ogres avalant des enfants, il faut loger très vite, digérer, passer à autre chose, évacuer.
La pensée matérialiste s’exprime dans le gigantisme, dans les pelleteuses mécaniques souillant le sol et les cieux, dans la brutalité marchande.
Tout est calcul, vente et revente, fermeture, bouclage, défiguration.
©François Daireaux
Çà et là, il y a quelques signes d’innocence, de vitalité indomptée, de beauté intacte, mais presque partout la lutte pour la survie se décline en lutte des places et en arrogance architecturale.
Il faut nourrir la population, et l’encager – attention aux révoltes.
Bien entendu, tout ceci s’effondrera comme château de cartes, dans des secousses mondiales imprévisibles mais systémiques.
François Daireaux a rencontré l’homme-misère, la femme-labeur, et l’enfant-sacrifice.
©François Daireaux
Le kitsch aux dimensions d’un pays est une faute d’âme impardonnable.
La mort est omniprésente, et les abattoirs infâmes, comme les prisons, invisibles.
Il y a beaucoup d’images fascinantes dans Discover, mais comment ne pas être accablé par tant d’inconscience, d’inconséquence, de déraison orgueilleuse métaphorisant probablement l’avenir de l’humanité ?
Ici, au pays des Zemmour et des gentils humanistes, on pense écoresponsabilité, on invite les écoliers à accroître leurs réflexes écologiques, on vote vert ; là-bas, dans les bureaux du Parti central, on rit de cette vaste blague, on s’esclaffe même, dans des secousses de démons.
©François Daireaux
Qui tuera les derniers lettrés aura une récompense considérable, allez, au boulot les petits d’hommes aux couteaux sanglants.
Mais j’exagère, la Chine, c’est aussi Tchouang-Tseu, le taoïsme, tant de siècles de finesse.
En attendant que les sept dragons n’annihilent dans un souffle puant l’ignominieuse race humaine, on peut rêver et s’enchanter du burlesque de l’existence, les crocs aiguisés des bouchers s’en fichent bien.
©François Daireaux
François Daireaux, Discover, textes (français/mandarin/anglais) Emmanuel Lincot, direction éditoriale Eric Cez, graphisme Anouck Fenech, Loco, 2021, 262 pages
©François Daireaux