©Antoine d’Agata / Magnum Photos
« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine / Occupent nos esprits et travaillent nos corps, / Et nous alimentons nos aimables remords, / Comme les mendiants nourrissent leur vermine. »
Avez-vous remarqué comme les éditions scolaires des Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire, sont de plus en plus laides, et/ou outrageusement gothiques ?
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
Comme s’il fallait à jamais détourner les jeunes lecteurs de la grâce, de la volupté, de l’érotisme.
Comme s’il fallait là aussi imposer une vision idéologiquement noire et plate.
Comme si au fond la littérature en son feu antisocial n’existait pas.
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
On sait les positions tranchées de Baudelaire, quoique plus ambiguës qu’il n’y paraît, concernant la photographie comme instrument de décadence, immonde religion moderne dont Daguerre fut le Messie pour une multitude avide de contempler « sa triviale image sur le métal ».
Oui, mais il ne connaissait pas Antoine d’Agata, dont le livre Fleurs du mal associe les poèmes du célèbre recueil condamné en 1857 à des gravures inspirées de ses propres photographies.
Apparaissent des formes altérées, des nuages de corps, des couples faisant l’amour dans une nuit obscure ou connaissant des extases solitaires.
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
Imprimé sur papier bible, faisant songer à Munch, reprenant le corpus de son grand œuvre consacré aux états limites de la sexualité, de la jouissance et de l’empoisonnement par la drogue ou le plaisir vicié, les impressions gravées du photographe de l’agence Magnum permettent de lire avec plus de trouble encore les poèmes de son génial prédécesseur né deux cents ans avant lui.
D’Agata intitule cette collaboration par-delà la mort Fleurs du Mal, et non Les Fleurs du Mal, comme un nom de drogue, celui d’un parfum étrange, ou une formule magique pour traverser les royaumes souterrains.
« Je suis de mon cœur le vampire, / – Un de ces grands abandonnés / Au rire éternel condamnés, / Et qui ne peuvent plus sourire ! »
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
En marge des poèmes imprimés en noir sur l’ivoire, le photographe inscrit des citations manuscrites – à la verticale du texte et en rouge – empruntées aux penseurs qui l’inspirent, Walter Benjamin, Guy Debord ou Georges Bataille, tout ceci concourant à un approfondissement de l’intelligence du texte.
On flâne dans la ville comme dans un cerveau malsain, on combat l’Ennui, on accepte, déshérité, la tutelle d’un Ange.
Des fantômes s’étreignent, la pointe noire de l’œil nous élance, nous nous mordons de sel et de nuit.
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
Antoine d’Agata grave des voluptés calmes sous de vastes portiques.
Don Juan aux Enfers fait l’amour à mort à des esclaves nues imprégnées de ténèbres.
Fleurs du Mal est un rêve de pierre et de javelots, un éloge de l’Idole en soleils de Satan.
« Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon ; / Il nage autour de moi comme un air impalpable ; / Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon, / Et l’emplit d’un désir éternel et coupable. »
Charles Baudelaire et Antoine d’Agata, coupables, mais innocents.
Antoine d’Agata, Fleurs du Mal, directeur-ice-s de publication Vincent Marcilhacy & Véronique Prugnaud, direction artistique et design Peter Jeffs, photogravure JANVIER, The Eyes Publishing Editeur 2021, 220 pages- 2000 exemplaires / quatre couvertures disponibles
©Antoine d’Agata / Magnum Photos
The Eyes Publishing – Fleurs du Mal
Exposition Baudelaire, la modernité mélancolique, Bibliothèque nationale de France – du 3 novembre 2021 au 14 février 2022