A l’initiative, avec l’association Yiriba, d’un projet de cinquante cartes postales idéales de la ville de Brest, imaginées par des personnes venues de tous pays et territoires non métropolitains y vivant désormais, Benjamin Vanderlick, ethnologue et photographe, poursuit son travail au long cours de valorisation de la richesse des communautés inscrites dans un même espace géographique.
Quoi de mieux pour Noël que de célébrer la diversité, la tolérance, et l’interculturalité ?
Nous nous sommes entretenus.
Pourquoi vous être intéressé à la question migratoire à Brest, dont vous devenez peu à peu, comme ethnologue et photographe, un spécialiste ?
Avant d’arriver dans le Finistère en 2016, je m’intéressais déjà aux questions migratoires. En fait, mon intérêt pour ce champ de recherche remonte au début des années 2000, alors que j’étais encore étudiant à Lyon. J’avais choisi de partir effectuer ma maîtrise d’ethnologie à Ouidah au Bénin, dans l’une des capitales culturelles du voudoun. Mais mon regard s’est porté sur deux milliers de réfugiés nigérians de l’ethnie Ogoni installés dans la ville de Ouidah et dans un camp du HCR construit à proximité. Il s’agissait d’un peuple du très pétrolifère delta du Niger. Ils avaient été réprimés pour avoir porté des revendications environnementales et de justice face à la société pétrolière Shell et à leur gouvernement. J’étais parti avec un appareil photo. Mais j’étais très mal à l’aise pour photographier « mon sujet » d’étude. C’est après ce détour africain que j’ai appris à mieux regarder à coté de chez moi. J’y ai découvert un phénomène nouveau : la réapparition des bidonvilles à Lyon. Cette fois-ci, ses occupants n’étaient plus des Italiens, des Algériens, comme c’était le cas au XXe siècle, mais c’étaient des Roms, indistinctement venus d’ex-Yougoslavie et de Roumanie. J’en ai fait une recherche ethnologique à l’Institut d’urbanisme de Lyon. Et là, contrairement à ma recherche au Bénin, ici, j’ai effectué beaucoup de photographies, quasi exclusivement en noir et blanc. J’ai effectué mes premières photos sur ce sujet en 2002 et mes dernières en 2017, au moment où je me suis installé dans le Finistère. Dès le début de ma préoccupation, il y a cette association entre ethnologie et photographie qui va se mettre en place. Alors que je n’ai pas arrêté de m’intéresser et de travailler sur les histoires, mémoires et actualités des migrations en France depuis ce début de siècle, c’est donc relativement naturellement que mon regard à Brest a recherché ce qui se passait ici.
Les cartes postales sont essentiellement des regards idéalisés, patrimoniaux, portés sur un territoire. Ce sont aussi des objets de correspondance incroyables. Les cartes postales ont accompagné l’histoire des migrations tout au long du XXe siècle. Cela fait quinze ans que j’œuvre en tant qu’acteur culturel à favoriser l’inscription et la valorisation des migrations dans l’histoire locale. J’ai porté une attention particulière aux cartes postales anciennes, sur lesquelles figurent presque toujours des passants. Au début du XXe siècle il semblait presque inconcevable d’avoir une photo de rue, de place ou de plage vidée de ses habitants. J’ai proposé à une large diversité de Brestois venus d’au-delà de la France métropolitaine de réaliser leur carte postale idéale de Brest à envoyer à la famille, en s’inspirant de l’esthétique des cartes postales ancienne et en figurant dessus. Tout comme il existe des cartes postales anciennes de Brest bilingue français-anglais, nous avons choisi d’écrire la légende de la carte postale en français et dans la langue maternelle de chacun. Après avoir rencontré des habitants aux âges, aux parcours et aux origines géographiques assez différents, chaque participant devait choisir entre un et trois lieux qui sont emblématiques à leurs yeux et aussi un ami pour prendre la photo. Équipé d’un appareil photo argentique posé sur trépied avec un film couleur et d’un enregistreur, j’ai joué le rôle d’assistant pour chaque prise de vue.
Quelles sont les vues vous ayant particulièrement surpris ?
J’ai été surpris par certains cadrages, certaines mises en scènes qui reproduisent des cartes postales anciennes de manière non intentionnelle. Les ressemblances sont flagrantes. Je n’ai pas eu de surprise sur les lieux car, avant de partir réaliser les photos, les raisons du choix de chaque lieu m’étaient exposées. De fait, pour moi, la surprise du lieu disparaît en partie.
Quelles sont les différentes langues légendant les cartes postales ? Comment communiquiez-vous avec les personnes ayant accepté de participer à votre projet ? Avez-vous sélectionné les images avec chaque personne ? Y a-t-il eu des refus, des renoncements, des réticences ?
J’ai rencontré la plupart des volontaires pour le projet sur la rue Jean Jaurès à Brest, à l’hôtel Les gens de Mer, à Pontanezen avec l’Abaafe, l’association Ici femmes d’Europe et d’ailleurs et la Médiathèque Jo Fourn, mais aussi grâce au GPAS et ses connaissances des habitants du quartier Kerourien ainsi qu’auprès des connaissances des Africains à Brest de l’association Yiriba. Nous avons une trentaine de langues différentes parlées. On retrouve ainsi sur les cartes postales le kurde (avec l’alphabet latin ou arabe selon le pays d’origine), l’arabe (d’Algérie, du Maroc ou du Liban), le gallois (Pays de Galles), le géorgien, le pachto (Afghanistan), le persan (Iran), du portugais (du Brésil), l’ourdou du Pakistan, le russe…
Pourquoi avoir souhaité réactiver, par le choix d’éditer des cartes postales colorisées à l’ancienne, la dimension d’exotisme de la ville où naquit Victor Segalen ? Est-ce une invitation au voyage vintage, voire une proposition mélancolique liée à l’exil ?
A travers l’esthétique rappelant volontairement les cartes postales anciennes colorisées, où chaque participant choisit sa pause, il y a certes la volonté de représenter la diversité culturelle à Brest aujourd’hui, mais il y a surtout l’envie de donner la parole à tous les natifs d’ailleurs pour s’exprimer sur Brest et sur son patrimoine aux facettes multiples : architectural, portuaire, militaire, naturel, culturel etc. Chacun a la possibilité de choisir son entrée qui lui convient le mieux pour se projeter dans le territoire.
Qu’avez-vous découvert grâce à ce projet ? Comment allez-vous le faire vivre désormais ?
J’ai découvert des lieux qui m’étaient inconnus, bien sûr. Mais j’ai surtout découvert Brest à travers eux, à travers leurs mots, leurs regards, leurs souvenirs, leurs émotions. C’est ce que j’ai essayé de transmettre avec l’édition des cartes postales : leur remettre les cartes mais proposer des vues et des attitudes dans lesquelles tout Brestois pourrait se projeter.
Pour faire vivre ce projet, il me semblait intéressant de proposer les cartes postales dans différents lieux de vente brestois. J’ai même voulu les proposer dans un « bar-tabac- vente de cartes postales ». Cela a été refusé par les gérants au prétexte que ces cartes postales étaient subjectives ! Est ce qu’on se demande si une carte postale de Brest avec une mer d’huile, un ciel d’un bleu éclatant, un matelot, c’est subjectif ? Finalement, on trouve les cartes plutôt en librairies. C’est une manière de faire vivre le projet.
Mais surtout, avec plus de 600 photos, trente heures d’entretiens et environ 80 personnes impliquées dans la réalisation des cartes postales, nous avons décidé d’aller un peu plus loin dans le processus créatif. Nous avons réalisé une exposition collectivement, la plus respectueuse du point de vue de toutes et tous. Nous avons donc mené des ateliers avec une commissaire d’exposition (Emmanuelle Hascoët, Fovearts), une graphiste (Nathalie Bihan, Kuuutch/ Superbanco). Une trentaine de personnes s’est à nouveau impliquée. L’exposition est présentée depuis le début du mois de novembre sur les murs extérieurs de la médiathèque Europe à Brest. Elle est visible jusqu’au début du mois de janvier 2022.
La dimension politique de Mes chers parents est manifeste. Allez-vous envoyer vos cartes postales aux futurs candidats à la présidentielle française ?
En interrogeant notre ville et ses représentations, il y a bien sûr une dimension politique. Mais je préfère dire que la démarche permet de renouveler l’approche patrimoniale et culturelle du territoire. Donc, je n’ai pas pensé les envoyer aux futurs candidats et je ne pense pas le faire. Il m’importe plus de favoriser des diffusions populaires, informelles, intimes, de ces cartes. Que ce soit auprès des participants eux-mêmes en leur offrant des cartes, une enveloppe « par avion » déjà affranchie au tarif international ou auprès de tout Brestois qui se reconnaît dans cette vision inclusive et multiculturelle de sa ville et qui sera heureux de partager cela avec son entourage.
Quelle serait votre vue idéale de la ville de Brest ?
Selon la saison, les conditions météorologiques et aussi selon mon humeur, ma vue idéale de Brest peut être différente. Mais de par mes formations en ethnologie comme en géographie, indéniablement, j’aurais envie d’y mettre la ville, la rade et surtout de la vie, de l’humain avec du brassage social et culturel. On peut notamment trouver tout ceci à proximité de la gare de Brest, sur la rue Jean Jaurès au niveau de l’octroi, à la grève de la Maison Blanche, au port de commerce, au jardin des Explorateurs ou Kerbonne. Les endroits sont nombreux et extrêmement variés. Ce sont en partie les auteurs des cartes postales qui m’ont révélé la richesse dans toutes ces vues.
Comment voyez-vous cette ville demain ? Gagnée par le goût du lucre des spéculateurs immobiliers ? Tolérante et diverse ? Saturée de caméras de surveillance ? Utopique ?
La ville devrait être un peu tout ça à la fois. Toutes ces dynamiques sont à l’œuvre, mais elles ne jouent cependant pas à armes égales. Actuellement, à Brest comme dans les autres métropoles de France, il me semble que l’on vit davantage les uns à côté des autres que les uns avec les autres. Tolérante et cosmopolite, elle l’est de fait aujourd’hui, quand on a envie de le voir. Dans une société où les crispations identitaires sont exacerbées, c’est comme cela que je souhaite voir Brest et l’exposer aux yeux de toutes et tous. Et c’est aussi ce que nous livrent les auteurs des cartes postales Mes chers parents puis de l’exposition Elle est si belle à voir.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Mes chers parents, cinquante cartes postales (graphisme Nathalie Bihan – en vente à Brest auprès de La Petite Librairie, Dialogues, Kuuutch, restaurant Bori Bori, Beaj Kafe, Yiriba
carte postale ancienne, gare de Brest colorisée
Exposition Elle est si belle à voir, à la Médiathèque Jo Fourn-Europe, Brest, commissariat Emmanuelle Hascoët (Fovearts). Graphisme : Nathalie Bihan – du 6 novembre 2021 au 8 janvier 2022.
Jeudi 6 janvier 2022, 16h : lectures et visites de l’exposition
Ah ça donne envie de venir à Brest ! 😊
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Pour y avoir vécu trois ans, il y a maintenant 40 ans, je retrouve avec beaucoup de plaisir cette ville , dans cette exposition. Cela me donne envie de revenir y faire un tour. Il faut que j’y pense 😄
Je pense également que ce projet pourrait et devrait être mis en œuvre dans d’autres villes, un peu partout en France.
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