Lydia Mizinova et Anton Tchekhov, l’aventure d’une correspondance

tchekhov

« Comme je voudrais (si je pouvais) serrer le lasso plus étroitement ! Ce n’est sans doute pas à ma portée ! Pas de chance, c’est la première fois dans ma vie. » (Lydia Mizinova à Anton Tchekhov, juillet 1892)

La très belle Lydia Mizinova fut probablement l’inspiratrice principales du personnage de Nina dans La Mouette, d’Anton Tchekhov, pièce jouée pour la première fois, sans succès, le 17 octobre 1896 au théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg.

Lorsque tous deux se rencontrent en 1889 à Moscou, elle a 19 ans, et lui, médecin et écrivain déjà reconnu, 29 ans.

Ils se cherchent, se provoquent, s’agacent, se séduisent, se déçoivent, s’aiment, s’éloignent – la vie est un théâtre.

Lika, le 13 janvier 1891 : « A ce qu’il paraît, vous êtes bombardé de courrier. Mon pauvre ! N’empêche, je vous écris quand même. Ne prêtez pas attention à la façon dont je vous écris aujourd’hui, je suis z’heureuse ! Mais tout de même, rentrez vite, on s’ennuie sans grands hommes. J’ai été pervertie par la société des hommes grands et remarquables et c’est sans doute pour ça que j’ennuie. »

Une correspondance aujourd’hui publiée par les éditions Arléa – 67 lettres du dramaturge, 60 de Mizinova, rédigées entre 1891 et 1900 – témoigne de leur relation aussi belle que parfois complexe, les désappointements de l’un et de l’autre ne cessant de se multiplier.

Lika, le 21 janvier 1891 : « Reviens quand même le 26, tu verras que je peux être poétique autrement qu’en paroles. Je n’écris sur ce ton, c’est-à-dire je le suis décidée à écrire, que parce que tu m’as demandé de t’envoyer un timbre sur un « ton amoureux » et de telles lettres je ne les écris qu’au « tu ». Ainsi, je t’attends et espère que tu me feras cadeau d’une demi-heure au moins ! Pas tout pour elle ! J’ai bien mérité une demi-heure pour mon amour. »

Traduites et annotées par le comédien et metteur en scène Nicolas Struve – qui en fit un spectacle créé en février 2020 avec David Gouhier et Stéphanie Schwartzbrod au Théâtre des Déchargeurs -, cette correspondance pourrait être une nouvelle de Tchekhov, avec départ de la protagoniste à Paris en compagnie d’un ami de l’écrivain, perte de son enfant, et courage malgré tout.

En 1889, le lauréat du prix Pouchkine est déjà l’auteur de près de cinq cents nouvelles.

En 1890, il enquête sur la condition des bagnards de Sakhaline, « interrogeant en personne, précise son traducteur, les dix mille déportés de l’île. », l’échange de lettres avec Lydia commençant au retour de cette expédition ayant duré huit mois.

Devenant une fidèle du domaine de Melkihovo, acquis par Tchekhov en 1892, la jeune femme comprend que pour lui la littérature est une maîtresse irrévocable.

Anton, le 12 juin 1891 : « J’ai reçu votre lettre à l’instant. Elle est, de haut en bas, remplie d’expressions charmantes telles que : « le diable vous emporte », « le diable vous étouffe », « anathème », « talouche », « saloperie », « je me suis gavée », etc. Rien à dire, les charretiers du genre de Trophim [nom des soupirants fictifs inventés par Tchekhov] exercent sur vous une influence remarquable. »

Les problèmes de santé, notamment pulmonaires, de l’un et l’autre sont fréquents, la convalescence empêchant quelquefois les retrouvailles.

Anton, juillet 1891 : « J’ai acheté les récits de Tchekhov : quelle merveille ! Achète-les toi aussi. » ; « Je vous aime passionnément, comme un tigre, et je vous offre ma main. Le maréchal des cabots. PS : Communiquez votre réponse par mimique. Vous êtes bigleuse. »

Ecrit-on cela à la plus jolie femme du monde ? Oui, peut-être, sûrement, d’autant plus.

Les lettres sont quelquefois ambiguës, reprenant très vite ce qu’elles offrent, ou donnent l’illusion de concéder.

Anton, 27 mars 1892 : « Hélas, je suis déjà un vieux jeune homme, mon amour n’est pas un soleil et ne fait le printemps ni pour moi ni pour l’oiseau que j’aime. Lila, ce n’est pas toi que j’aime si ardemment ! Ce que j’aime en toi, ce sont les souffrances passées de ma jeunesse perdue [citation de Lermontov]. »

Ensuite : « Je vous aspergerai d’eau bouillante et vous arracherai la couenne du dos à l’aide de pinces incandescentes. »

Surchargé de travail – médecine / littérature -, Anton ne répond pas toujours aux missives de son amie.

Lika, 26 juin 1892 : « Ecrivez plus, mon petit pigeon, vrai, cela ne vous obligera à rien, et pour moi, c’est un tel plaisir de recevoir une lettre de vous. »

Anton, 28 juin 1892 : « Chez nous tout est calme, paisible, bien ordonné, si l’on ne tient pas compte du bruit que font les enfants de mon frère aîné. Malgré tout il est difficile d’écrire. Impossible de me concentrer. »

Une chambre à soi comme royaume, voilà la méthode.

Plus loin : « Bien, au revoir, concombre de mon âme. J’embrasse avec une muflerie respectueuse votre petite boîte à poudre et j’envie vos vieilles bottines qui vous voient chaque jour. Parlez-moi de vos conquêtes. Portez-vous bien et n’oubliez pas le, par vous terrassé. »

Plane en ces temps d’incertitudes sentimentales la menace du choléra.

Il faut travailler davantage encore, soigner, se déplacer dans les campagnes, soulager les âmes, inventer des personnages.

Lika, le 12 août 1892 : « Je ne vous comprends pas, Anton Pavlovitch ! Si vous me voyez vraiment telle que vous me décrivez dans chacune de vos lettres – paresseuse, chicanière, avec un caractère pénible, etc. – si vous pensez tout cela, pourquoi m’inviter chez vous, correspondre avec moi et me manifester de la sympathie ? »

Continuant, deux mois plus tard, on ne peut plus clairement : « « Je brûle ma vie, venez m’aider à la brûler au plus vite, le plus vite sera le mieux. »

Lui, le 22 avril 1893, de Melikhovo : « Votre tout… vous comprenez ? Tout. » Et, le 13 août de la même année : « Chère Lika, si je n’écris pas c’est qu’il n’y arien qui vaille d’être écrit ; la vie est à ce point vide qu’on n’y ressent que la morsure des mouches – rien d’autre. Venez, chère blondinette, on bavardera, on se disputera, on se réconciliera. Sans vous je m’ennuie et je donnerai bien cinq roubles pour pouvoir bavarder avec vous, ne serait-ce que cinq minutes. Il n’y a pas de choléra, mais il y a la dysenterie, il y a la coqueluche, il y a le mauvais temps, sa pluie, son humidité, sa toux. »

Le 1er septembre 1893 : « Chère Lika, vous avez pêché dans le dictionnaire des mots d’origine étrangère, le mot « égoïsme », et me le servez dans chacune de vos lettres. Vous devriez baptiser votre toutou ainsi. »

Il est bien difficile, n’est-ce pas, d’accorder notre mélancolie avec celle de la personne que nous aimons.

Anton et Lika, que les anges veillent sur vous.

En 1896, une mouette est née.

correspondance_avec_la_mouette_plat1_hd-2-2136d

Anton Tchekhov, Correspondance avec la Mouette, traduit du russe, annoté et présenté par Nicolas Struve, Arléa, 2022, 200 pages

Editions Arléa

logo_light_with_bg

Se procurer Correspondance avec la mouette

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Vève dit :

    Et quelle mouette! Merci pour cette exquise recension…

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s