Le visage comme plurivers, par Gilles Pandel, photographe

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©Gilles Pandel

« A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimés tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue. » (Guy Debord)

Catalogue éponyme de l’exposition ayant eu lieu à Toulouse à l’automne 2021, Ce que je vis présente l’œuvre de Gilles Pandel, artiste né en Suisse le 6 juillet 1963, acteur installé à Paris de 1993 à 2006, et photographe vivant actuellement à Genève.

Cet ouvrage conçu comme un bilan présente trente ans de production et d’expérimentations photographiques (1981-2021), l’artiste effectuant le portrait – sans les faire poser – de créateurs qui lui importent – les Straub, Antoine d’Agata, Jacques Rancière, Alain Cavalier, Pierre Guyotat, Hélène Cixous, Giorgio Agamben, Claude Régy… -, donnant l’impression de sculpter les visages et les corps.

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©Gilles Pandel

Acteurs, metteurs en scène, peintres, écrivains, cinéastes, philosophes, intellectuels, scientifiques, sont ainsi montrés, dans un noir souvent très charbonneux et une esthétique marquée par le théâtre pauvre de Jerzy Grotowski, tels que nous ne les avons jamais vus.

Accompagné de nombreux textes (de Xavier Lambour, Stefanie Neubert, Gérard Tiné, Mandana Convindassamy, Patrick Barrès, Sara Elo Dean, Jacques Henric, Michèle Guidetti, Amélie Leforestier, Claudine Hunault, Jean-Christophe Goddard, Tristan Kuipers, Eileen Letestu, Christian Bastin, Jean Gallois, Kontxa de Nazelle, François Le Goff), Ce que je vis – on peut penser aux Cahiers de L’Herne – est un livre d’une grande densité intellectuelle et sensible.

Les visages sont des masques, des entités mutantes, d’inquiétantes étrangetés.

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©Gilles Pandel

Hilda Inderwildi analyse : « La photographie de Gilles Pandel, hybride et monstrueuse au sens de Mikhaïl Bakhtine, ne s’interdit aucune exploration. Elle exploite les possibilités du masque et de la performance, des images de synthèse de cinéma ou encore de la sculpture et de la peinture. »

Les photographies du cinéaste allemand Alexander Kluge, d’essence expressionniste, sont d’un mineur de fond remontant du trou, ou de quelque créature chtonienne.

Hélène Sirven témoigne : « L’œuvre au noir de Gilles met en tension la lumière qui émerge des profondeurs, l’opacité du noir pictural qui sous-tend les formes : visages, gestes, émotions. Sa manière noire est une invitation à prendre conscience des rythmes lumineux qui traversent le temps d’un visage exposé au regard de spectateurs invisibles pendant des conférences ou prises de parole. »

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©Gilles Pandel

Conçu à la façon des actes d’un colloque consacré à son travail photo-graphique, Ce que je vis expose de façon très troublante les mutations à l’œuvre en chacun, notre plasticité constitutive.

Le critique Georges Didi-Huberman est dans son regard un être où la pensée se fait pur mouvement.

Manipulant l’image, Gilles Pandel, pour qui les dispositifs sériels sont constants, construit des visions de présences bitumeuses s’accordant à l’archaïque débordant de chacun à partir du moment où le regard se fait instrument de profondeur, ainsi du visage poupin de Christian Caujolle (2018) – avec qui le photographe s’entretient longuement -, de Daido Moriyama (2020) le provocateur malicieux, ou de Bernard Dufour semblant épuisé par une flamme intérieure.

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©Gilles Pandel

Il ne reste plus d’Hélène Cixous (2019) que quelques traits de fusain, une paupière, un œil, une narine, des lèvres.

Le visage de Michel Serres (2017) est une roche celtique ouvrant les yeux depuis l’au-delà.

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©Gilles Pandel

Offrant au lecteur une anthologie de citations nourrissant sa réflexion (de Peter Handke, Samuel Beckett, Albert Camus, Pablo Picasso, Jean Dubuffet, Jean-Luc Nancy, Lewis Carroll, Antonin Artaud, Jean-Christophe Bailly…), Gilles Pandel relève une pensée de Tadeusz Kantor : « L’art n’a pas à soigner la société, il devrait plutôt être un poison. L’art n’a de sens qu’à exister comme contradiction à la vie sociale, à la politique, au pouvoir. »

Antoine d’Agata : « … dans le décor de la ville innommable, vécue en même temps que récusée, la peur crée ses propres images pour se perpétuer ; la peur domine le monde avec son cortège d’illusions, de stratagèmes, de compromissions… »

Gilles Pandel : « Je photographie ce qui est en train de mourir. »

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©Gilles Pandel

On pense ici au mouvement panique créé en 1962 par Fernando Arrabal, Roland Topor et Alejandro Jodorowsky auquel rattacher peut-être son esthétique risquée.

Lui, définitif : « pulsion respire pense en rien casse ce qui passe regarde terre se ferme tombe pousse cœur fou fond fruit ronde flamme aime le souffle blesse retient tord rage gémit gît l’image magie mirage remémore en corps possible parole nie voit moi soi suis plie rêve vivre veille naît ou n’est sang m’élance verse perd pire jeté deux si chère qu’elle ose se créa et quoi »

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Gilles Pandel, Ce que je vis, mise en page CPRS, Université Toulouse Jean Jaurès – Benoît Colas, 2022

Gilles Pandel – site

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