J’étais perdu dans notre pays avili, ayant abandonné une grande part de ses valeurs anarcho-chrétiennes.
Il me fallait une direction, un guide spirituel, un destin au-delà de la survivance politique à bas coût.
Je lisais dans les journaux et les réseaux sociaux des points de vue intelligents, moraux, raisonnables, tenus par des personnalités éminemment respectables à propos du choix de notre futur président de la République.
Oui, très bien, mais il me fallait davantage encore qu’un calcul aussi judicieux soit-il, il me fallait une épée plus tranchante, un feu plus ardent, que j’ai trouvé en lisant ces jours-ci pour la première fois le fameux et extraordinaire pamphlet de Georges Bernanos, La France contre les robots.
Publié à Rio de Janeiro en 1944 alors que l’écrivain y vivait en exil depuis 1938 – il arrive au Brésil deux mois avant les accords de Munich, qui le frappent de honte -, à la suite de la parution de Les Grands cimetières sous la lune, livre rageur contre le franquisme assassin et la démission des démocraties occidentales face à la soldatesque haineuse préfigurant le basculement de l’Europe dans l’ignominie absolue, La France contre les robots est un cri contre l’indignité d’un peuple ayant troqué son sentiment de liberté et son histoire révolutionnaire contre la pensée calculante, la course au profit et le matérialisme abâtardi.
Nous avions une âme, une vie intérieure, nous sommes désormais des animaux économiques courant à notre perte appelée automaticité du progrès – gloire aux ouvriers de Manchester, et de Calais, ayant détruit les premières machines textiles industrielles.
Décrit admirablement par Victor Hugo dans Les Misérables, l’ouvrier du faubourg Saint-Antoine prêt à mourir sur les barricades pour le bonheur du genre humain, « le vieux travailleur idéaliste à cheveux gris, au regard d’enfant et d’apôtre mille fois plus chrétien sans le savoir que les chrétiens qui le maudissaient », peut se retourner autant de fois qu’il le souhaite dans sa tombe, les modernes ne cesseront de piétiner ses rêves d’émancipation pour tous.
C’est donc décidé, je vote aujourd’hui intérieurement pour l’auteur du Journal d’un curé de campagne et du Dialogue des Carmélites.
Pour notre soirée quoi qu’il en soit funeste, je propose donc de remplacer le discours présidentiel par quelques passages du livre essentiel de Bernanos – republié par les éditions Louise Bottu en 2019.
– « Capitalistes, fascistes, marxistes, tous ces gens-là se ressemblent. Les uns nient la liberté, les autres font encore semblant d’y croire, mais, qu’ils y croient ou n’y croient pas, cela n’a malheureusement plus beaucoup d’importance, puisqu’ils ne savent plus s’en servir. Hélas ! le monde risque de perdre la liberté, de la perdre irréparablement, faute d’avoir perdu l’habitude de s’en servir… Je voudrais avoir un moment le contrôle de tous les postes de radio de la planète pour dire aux hommes : « Attention ! Prenez garde ! La Liberté est là, sur le bord de la route, mais vous passez devant elle sans tourner la tête ; personne ne reconnaît l’instrument sacré, les grandes orgues tour à tour furieuses ou tendres. On vous fait croire qu’elles sont hors d’usage. Ne le croyez pas ! Si vous frôliez seulement du bout des doigts le clavier magique, la voix sublime remplirait de nouveau la terre… Ah ! n’attendez pas trop longtemps, ne laissez pas trop longtemps la machine merveilleuse exposée au vent, à la pluie, à la risée des passants ! Mais, surtout, ne la confiez pas aux mécaniciens, aux techniciens, aux accordeurs, qui vous assurent qu’elle a besoin d’une mise au point, qu’ils vont la démonter. Ils la démonteront jusqu’à la dernière pièce et ils ne la remonteront jamais ! »
– (après avoir dénoncé la mise en place de la logique du passeport et des empreintes digitales) « Lorsque l’Etat jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. »
– « Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice ; on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce. On pourrait dire plus exactement encore qu’une civilisation disparaît avec l’espèce d’homme, le type d’humanité, sorti d’elle. L’homme de notre civilisation, de la civilisation française – qui fut l’expression la plus vive et la plus nuancée, la plus hellénique, de la civilisation européenne, a disparu pratiquement de la scène de l’Histoire le jour où fut décrétée la conscription [comme idée totalitaire]. »
– « car les Patries appartiennent à l’ordre de la Charité du Christ, la Sainte Charité du Christ est la Patrie des Patries ; et qui osera les reconnaître dans ces bêtes enragées se disputant comme des chiennes les dépouilles du monde ? »
– « Pour comprendre quelque chose à ce grand Mouvement de 89, qui fut surtout un grand mouvement prématuré d’espérance, et comme une illumination prophétique, il faut aussi tâcher de comprendre l’homme de ce temps-là. L’homme du XVIIIe siècle a vécu dans un pays tout hérissé de libertés. »
– « Je prétends que, en défendant l’homme du passé, c’est notre tradition révolutionnaire que je défends. Veut-on qu’il n’ait jamais été qu’un esclave dressé depuis des siècles à se coucher aux pieds de maîtres impitoyables et à leur lécher les mains ? »
– « ces hormones inconnues que les chimistes découvriront peut-être un jour dans les veines du dernier homme libre, avant que la médecine totalitaire l’ait rendu inoffensif par quelque futur ingénieux procédé de stérilisation… »
– « Mais rien n’est plus difficile que de prendre conscience d’un pays, de son ciel et de ses horizons, il y faut énormément de littérature ! »
– « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »
– « Ceux qui voient dans la civilisation des Machines [bonjour Monsieur Anders] une étape normale de l’Humanité en marche vers son inéluctable destin devraient tout de même réfléchir au caractère suspect d’une civilisation qui semble bien n’avoir été sérieusement prévue ni désirée, qui s’est développée avec une rapidité si effrayante qu’elle fait moins penser à la croissance d’un être vivant qu’à l’évolution d’un cancer. (…) on ne saute pas d’un train lancé à 120km sur une ligne droite. »
– « La tragédie de l’Europe au XIXe siècle et d’abord, sans doute, la tragédie de la France, c’est précisément l’inadaptation de l’homme et du rythme de la vie ne se mesure plus au battement de son propre cœur, mais à la rotation vertigineuse des turbines, et qui d’ailleurs s’accélère sans cesse. [lire ici Le bilan de l’intelligence, de Paul Valéry, publié par les éditions Allia]. »
– « Le premier venu, aujourd’hui, du haut des airs, peut liquider en vingt minutes des milliers de petits enfants avec le maximum de confort, et il n’éprouve de nausées qu’en cas de mauvais temps, s’il est, par malheur, sujet au mal d’avion… »
– « Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des hautes valeurs de la vie. »
– « Un monde dominé par la Force est un monde abominable, mais le monde dominé par le Nombre est ignoble. La Force fait tôt ou tard surgir des révoltés, elle engendre l’esprit de Révolte, elle fait des héros et des Martyrs. La tyrannie abjecte du Nombre est une infection lente qui n’a jamais provoqué de fièvre. Le Nombre crée une société à son image, une société d’êtres non pas égaux, mais pareils, seulement reconnaissables à leurs empreintes digitales. »
Chers compatriotes, Françaises, Français, et vous mes amis les animaux d’abattoir, vive la France !
Bernanos, La France contre les robots, éditions Louise Bottu, 2019, 132 pages
Simplement oui !
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