Le baiser (Lee Miller), 1930, Man Ray
« Les restes qui me composent ne savent plus jouir / Et je voudrais aimer la vie / Autant qu’elle m’aime à ce jour »
L’écriture de poèmes relève souvent pour les écrivains s’exprimant aussi dans d’autres genres littéraires de l’hygiène mentale.
Parce qu’il faut desserrer très vite l’étau social (les spécialistes des nœuds coulants sont légions), renouer avec le cœur de la langue, inventer d’autres rythmes, s’expérimenter autrement.
Quatrième livre chez Allia, après L’été des charognes (2017), Nino dans la nuit (écrit avec Capucine Johannin, 2019) et Nous sommes maintenant nos êtres chers (2020), La dernière saison du monde est un recueil de poésie peuplé de baisers et de solitude, de grâces féminines et de vœux au conditionnel.
Le premier poème donne le ton, et en indique la modernité comme la jeunesse : « Une robe courte Armani / Des collants qui s’effilent sur les pierres / Ce pull fin au col doux / Qui s’enroule / Et qu’elle ne lavera pas / Des bottines // Un tee-shirt blanc où ses seins rebondissent / En descendant les marches du retard, / Contour d’un jean serrant une taille où vivre / Pour toujours / Des lunettes d’actrice américaine / Le vernis rose des ongles qui couchent // De petits cerceaux orange où le soleil / S’incruste pour cacher la tristesse / La peau qui dit bonjour / Le bleu marin des jambes que mouilleront / Quelques vagues // Une robe très courte / Motif et soie du levant / L’orage de chaleur que provoque la résille / Les bottines trottent encore / Et les regards dérangent quand le collier / Passe doucement de sa main / A la mienne »
Dans le désastre du monde qui est, qui vient, qui est à venir, il y a les stases que sont les strophes de quelques vers d’un jeune homme né dans le Tarn en 1993.
« Quelle joie j’ai eue, de pouvoir enfin laver mon âme aux secousses de la sienne. »
On lit, on pioche, on s’arrête sur ce qui fait sens dans le moment qui nous étreint.
« Je cherche une terre capable de me soutenir quand je marche »
On se blesse les pieds, on s’étend sous un olivier, les langues se lissent.
« Tout ce rose en elle / A fait vriller ma tête // Rose des joues et des plaies / Roses la bouche et les paupières / Rose la chambre tout autour / Quand dans sa bouche / A glissé mon prénom, / Rose de sa langue / Et mouillé de ses lèvres »
Le plaisir est une confirmation, un exil, un don/contre-don.
« L’œil presque mort de plaisir / Tu débordes de toi-même / Et révulses / Vers cette planète connue de toi seule / Qui me semble maudite et bénie en même temps / Où seul ton corps sait survivre »
La poésie de Simon Johannin pourrait se nommer Noir Désir.
« L’argent file / Si vite / Entre mes doigts / J’écris pour moins d’argent / Que ce que je bois // J’ai fait l’amour / Deux fois / En deux nuits / L’amour si fort / A en cracher un ciel // Je donnerai ma vie / Contre un peu de la sienne / Que dans son ventre arrivent / Toutes les folies du printemps »
Le lyrisme n’est-il pas l’autre nom de l’amour, qui est celui du don de langue, déçu ou béni, ou béni-déçu ?
« Je garde ton savoir / Ta magie sur les choses / Ce rire qui brisant l’air / Me fait sentir si bien / Où ton pied dans ma bouche / Fait hurler les fantômes / De ces mondes invisibles / Que nous agitons / Du plaisir d’être ensemble »
L’amour explose, il est le temps et l’espace, la justification, l’apparition spontanée des dix mille choses, et même davantage encore.
« Pourquoi sur ton corps / Le mien refuse le reste / Et si tu n’étais que le caprice / D’une émeraude, / Que ferais-je ensuite ? »
Diane danse autour d’une barre, marche nue sur la peau de vieux messieurs à la peau de bébés éternels, travaille à son numéro de hanches et de sombres lumières.
Dans le désert d’agaves de nos nuits, on cherche à tâtons le Nouveau Monde.
Fait de rubis noirs, de pierres bleues, et de bijoux de cuivre.
Et puis, il y a à la toute fin du recueil un long poème désespéré se prolongeant en charmant désastre.
On y lit ceci : « Je n’ai pas fait d’enfant au milieu de ce sexe / J’ai fait l’éducation du silence / J’ai regardé pousser les fleurs / Dans la lumière orange »
Simon Johannin, La dernière saison du monde, éditions Allia, 2022, 112 pages