
©Julie Hascoët
Echapper aux radars, échapper aux ondes, échapper à l’omnivoyance.
Passer par les failles, les anfractuosités, chercher à rejoindre les souterrains, les galeries obscures, les sous-sols visités par les seuls initiés.
Connaître l’invisible, rendre des cultes à des dieux païens oubliés, se laisser avaler et recracher par une mémoire bien plus vaste que soi.

©Julie Hascoët
Ainsi est l’ethos de Julie Hascoët, photographe ayant participé comme deuxième résidente après Arno Brignon (livre Les Doutes, chroniqué dans L’Intervalle) à l’aventure Terre & Territoire, résidence de création photographique se déroulant entre Loire et Loir, Perche vendômois et Beauce.
Nous sommes du côté du laboratoire Zone i, lieu de vie et de partage animé par Monica Santos et Mat Jacob situé à Thoré-la-Rochette, c’est-à-dire du côté de l’utopie concrète et des tables d’accueil.

Dans un ouvrage rhizomatique, aux multiples galeries (carnet de notes, plans, photographies, extraits de livres de Franz Kafka et de Mircea Eliade), Julie Hascoët dévoile sa confrontation avec les mondes infernaux, peuplés de monstres mythologiques et de serpents endémiques, de tapis végétaux et d’eaux parfois turbides, de déchets de toutes sortes et de rêves de clandestinité.
Conçu comme le premier chapitre d’une enquête poétique au long cours sur les lieux d’invisibilité, Entrer en matière est un livre labyrinthique, hanté par les présences des subterranologues, ermites et autres cataphiles ayant guidé ou inspiré l’artiste partie généralement seule en ces espaces où la confrontation d’avec soi-même prend valeur d’expérience intime fondamentale.
Il faut endurer le noir, quelquefois la peur, savoir se perdre pour se retrouver, se souvenir peut-être de la force des premiers hommes.

©Julie Hascoët
On creuse son trou, on y abrite sa pudeur ou sa rage, et l’on se retrouve enseveli dans un terrier aux sorties bouchées.
Julie Hascoët occupe les marges, arpente les carrières, le visage plein de poussière et les yeux intensément ouverts vers le plus lointain.
« Il n’est pas douteux, écrit un mythologue, que, dans l’âme primitive, comme dans les instincts, la terre et sa profondeur se confondent avec le ventre et le sexe de la femme. »

La matrice risque de s’effondrer, mais finalement elle tient, la renaissance est au prix de ce risque d’engloutissement.
Ici se trouve une cavité capable d’accueillir le corps d’une jeune femme.
Ici serpentent des kilomètres de corridors insoupçonnables pour les assis du dehors.
Ici se regroupent certains soirs, comme dans des bunkers naturels, des clandestins, des hors-la-loi, des réprouvés.

Un chien de chasse vient boire à la source, qu’avalera probablement dans quelques instants une créature légendaire.
Sur son île aux cannibales, au plus profond de sa grotte, le Robinson Crusoé de Michel Tournier redécouvre son enfance : « Il arriva mollement dans une sorte de niche tiède, écrit le romancier, dont le fond avait exactement la forme de son corps accroupi. Il s’y installa, recroquevillé sur lui-même, les genoux remontés au menton, les mollets croisés, les mains posées sur les pieds. Il était si bien ainsi qu’il s’endormit aussitôt. »

©Julie Hascoët
« Quand il se réveilla, poursuit l’écrivain, quelle surprise ! L’obscurité était devenue blanche autour de lui ! Il n’y voyait toujours rien, mais il était plongé dans du blanc et non plus dans du noir ! Et le trou où il était ainsi tapi était si doux, si tiède, si blanc qu’il ne pouvait s’empêcher de penser à sa maman. »
On entend une berceuse.
Julie Hascoët, Entrer en matière, direction artistique Mat Jacob et Monica Santos, conception graphique Julie Hascoët et Monica Santos, conception éditoriale Patrick Le Bescond, Filigranes Editions, 2022 – 600 exemplaires
Julie Hascoët – Filigranes Editions
Merci pour la découverte.
Il est vrai que ce genre d’endroit, devient refuge,
Face à la folie du monde humain…
Miss G
J’aimeJ’aime