©Nazanin Bamm
« Ces strophes parfaites pour toute lamentation / Comme offrant une blessure à l’âme de la terre / Cette tête empalée sur une lance n’a dit que des poèmes / La fin de tout poème, l’homme dans l’affliction // Continuellement cognent les chasseurs de cygnes / La pointe de leur lance sur mon corps qui me lance / Et toutes ces années, strictement encerclé à chaque seconde / Assigné je suis, aux bibliothèques »
Considéré par Mehdi Mousavi, préfacier du recueil On ne peut pas se fier…, comme un des maîtres du ghazal postmoderne, c’est-à-dire de la poésie amoureuse de tradition perse, l’Iranien Mohammad Bamm, exilé en France depuis 2018, possède une voix des plus singulières, dont Behi Djanati Ataï se fait le traducteur pour des lecteurs francophones.
Aidé par le réseau international des villes refuges ICORN, Mohammad Bamm, soutenu par la Ville de Poitiers, fait paraître chez Filigranes dans une édition bilingue son premier livre d’auteur, celui-ci n’étant pas de ces écrivains cherchant à publier à tout prix en acceptant facilement les sollicitations.
©Nazanin Bamm
Ouvrage sobre et pudique, On ne peut pas se fier… est accompagné des photographies en noir & blanc réalisées par Nazanin Bamm, sa compagne, qui font des jeux de voiles, d’ombres et de superpositions un atour d’illusion exprimant avec grâce la double présence de qui est ici mais encore là-bas, obligé à se cacher et pourtant intensément présent, notamment par son verbe.
L’exil – physique et ontologique – est un thème central de la poésie de Mohammad Bamm, dont les effets de réitération, par anaphores ou simples répétitions de termes, à la façon de qui chante en prenant conscience de l’écho de ses mots, sont multiples.
Inscrivant ses vers dans la tradition de la littérature perse, de Hafez à Sâdegh Hedâyat, l’écrivain, qui connut la prison et la torture (une photographie montre le corps du poète, dos nu, dans une baignoire sans eau, et l’on imagine le pire), invente une poésie exclamative/interrogative, à la fois douloureuse et combattive politiquement, mais aussi parfois empreinte d’un humour noir féroce.
©Nazanin Bamm
« Déplumé et les ailes cassées, il est enfermé / Dans le four, le poulet savoureux de l’aurore »
Plus loin : « Même avec l’alcool et le calmant / Malgré tout, l’estomac a encore mal / Même les termites n’en veulent pas / De ce corps qui démange à tel point ! »
Composé de dix-neuf poèmes, des quatrains et des distiques, On ne peut pas se fier… dit la solitude irréductible, et la mort aux cheveux répandus sur le sol.
« Tu es plongé dans ta solitude / Et de personne ne désires la sollicitude / Tu endures la souffrance mais ne la perçois pas / Tu bois le poison et tu ne meurs pas »
Un oléoduc traverse une route déserte, il y a des fêlures.
©Nazanin Bamm
« Tu as soif et n’as pas d’autre issue / Tu bois le pétrole au goutte à goutte / Des flammes jaillissent du fond de ton cœur et / Tu pars pour atteindre le silence »
La poésie mène-t-elle au gibet ?
« Que m’ont-ils apporté mes écrits sauf / Devenir une poitrine bouclier de blessures profondes ? / Sauf courir sur le tranchant d’une lame en panade ? / Que m’ont-ils apporté mes écrits, camarade ? »
Est-ce le prix à payer pour quelques pauvres vers ?
« La peur, hurlement de ce que tu ne vois pas / La peur, des chuchotements juste derrière toi / Le cerveau en berne, et les yeux fermés pense / A la danse des fantômes ivres tout autour de toi »
©Nazanin Bamm
Tout est si âpre, si blessé, si restreint, quand l’art est évasion, encore mieux élargissement de l’espace et du temps.
« La nuit, je me plains aux punaises de ma couverture / Je me plains du pays des sans-lèvres / D’être abandonné parmi les topettes d’encres / Et les punaises du lit qui rognent le débat »
On échappe au trépas par chance, parce qu’on est protégé, par l’évidence de l’absurde.
« Saison froide de la chasse à l’homme / Glissement de la main sur la gâchette et, l’hésitation / Les bottes noires du militaire et / Les pas suspendus de la cigogne »
Nous sommes seuls, mais parfois à deux.
©Nazanin Bamm
« Je serre fort mes chagrins mais / Je serre plus fort encore tes bras »
Au cœur de la nuit, il y a l’autre, l’aimée, qui rappelle la beauté de vivre.
« Compagne des jours étrangers / Ô Nazarine douceur de tous les chants / Ô toi la gorge serrée de sanglots / Réconfort de mes larmes nocturnes // Ô toi avec les yeux emplis de lumière ! / Ô ces beaux jours, à l’unisson toi et moi / Ô tes yeux qui déroulent la nuit / Ô tes yeux qui illuminent la nuit // Ô Nazarine douceur de tous les chants ! / « S’éclipser en exil, mirage » ma douce / Un torrent de mes larmes pour toi / Ma gorge nouée comme « Darius » // Nous, figures, flagrantes de l’injustice endurée / Ou ceux pieds suspendus au bord des mines / Pour les uns, exilés par leur barbarie / Ou pour les autres, images de journaux ici // Mon devoir, te désirer / Ma demeure, ton étreinte / La liberté, ta direction / Seule fuite possible, ton amour »
Mohammad Bamm, On ne peut pas se fier…, photographies de Nazanin Bamm, poèmes traduits du persan par Behi Djanati Ataï, préface de Mehdi Mousavi, Filigranes Editions, 2022