Le nom du père, par Alexandra Bellamy, photographe

©Alexandra Bellamy

Bellamy / Bellamy, de la photographe Alexandra Bellamy, construit sa narration et ses ellipses à partir d’un secret de famille.

Les protagonistes sont Alexandra, Claude, Dieter, Mother, Carine et les autres.

Qui connaît la vérité ?

Dans l’accumulation des récits et des fictions, où passe la juste mesure ?

©Alexandra Bellamy

Disposés avec soin dans un livre graphiquement très réussi (design de Marion Kueny), les documents de natures diverses conversent dans l’incommunicable, et se taisent dans l’échange, préservant l’énigme structurante tout en la révélant – des lettres, des captations vidéo, des images issus d’albums de famille, des dessins, des photographies inédites -, l’ensemble formant, en noir & blanc et couleurs, une constellation mystérieuse et très belle.

La numérotation des pages devient des dates, oui mais pour quelles continuités ? quelles béances ? quelle autre logique ?

©Alexandra Bellamy

Il y a les apparences, et ce qui gît sous la surface, souvent encore agissant.

Un père assis dans un fauteuil tient dans ses bras deux enfants suçant leur pouce. Nous sommes le 24 avril 1974.

Que comprendre du nid ? de l’affection ? des liens de filiation ?

Il y a les pères au quotidien, et les pères biologiques.

Où se situer entre les gènes et l’éducation ?

©Alexandra Bellamy

Tous se regardent, se questionnent, oublient de s’interroger.

Lumières, zones d’ombres, yeux qui ne cillent pas, sans connaître le véritable objet de leur fascination.

Recherche ADN, expertise, conclusion.

La photographe se photographie, elle a quarante-sept ans. Qui est cette femme ? D’où vient-elle ? A qui appartiennent ces nouveaux cheveux gris ?

©Alexandra Bellamy

Alexandra aime s’appeler Alex, diminutif épicène : pour ressembler à son père fantôme ?

Voici le lit où l’on se couche, où l’on fait l’amour, où l’on se quitte.

Voici une mère, jolie, désirable, jeune, puis plus âgée.

Que pense la nuit des couples illégitimes ? et des couples légalisés ?

Et la gazinière au charbon ?

Et les fougères ?

©Alexandra Bellamy

Le montage des images, les séquences de fenêtre sur cour bordées de noir, font songer au meilleur Resnais, aux récits troués par l’impossible (Auschwitz, l’absurde, le mal).

Un lé de papier peint se déchire.

Dieter écrit : « Sache une chose importante à mes yeux : tu es un vrai enfant d’amour, car nous nous sommes beaucoup aimés (ta mère et moi). »

Puis : « J’espère que je n’ai pas trop « chargé la mule » pour un premier échange, le sentiment fort prend le pas sur la prudence, et j’ai un caractère plutôt généreux que mesquin, mon cœur s’est ouvert en grand pour toi, utilise-le comme il te plaira. »

Dénouer l’écheveau.

Ouvrir des portes.

Chuter dans le fragment comme on lance des bouées à l’aveugle à l’instant du naufrage.

Retourner la terre, retrouver les souvenirs, construire une mémoire.

©Alexandra Bellamy

La Normandie comme théâtre des passions.

Conversation avec Mother : « – A quel moment as-tu décidé de le dire ? / – Au moment où ton père et moi consultions Catherine Dolto. A ce moment-là. »

Combien de cigarettes aurons-nous fumées avant que la vérité ne se sache ? combien de verres de vin ? combien de dîners avec les amis ?

En postface, Marie Robert, conservatrice en chef chargée de la photographie au Musée d’Orsay, résume dans une formule godardienne : « L’assemblage d’éléments disparate compose un roman familial qui raconte non pas une histoire vraie, mais une vraie histoire. »

Alexandra Bellamy, Bellamy/ Bellamy, design graphique Marion Kueny, postface Marie Robert, Filigranes Editions, 2021, 80 pages – 500 exemplaires

https://alexandrabellamy.com/

https://www.filigranes.com/livre/bellamy-bellamy/

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