Tout le reste est mensonge, par André Velter, poète

« Je ne peux me passer de ce qui ne passe pas. » (André Velter)

Il nous faut la poésie, pas la mièvre, la trompeuse, la sentimentale, mais celle qui mène la guerre au cœur des sensations, de la langue, du mal.

Il nous faut cette phrase parfaite de Stéphane Mallarmé (lettre du 27 mai 1867 adressée à Henri Cazalis) placée en exergue du dernier recueil d’André Velter, Trafiquer dans l’infini : « J’ai fait une assez longue descente au Néant / pour pouvoir parler avec certitude. / Il n’y a que la Beauté ; / et elle n’a qu’une expression parfaite, la Poésie. / Tout le reste est mensonge. » 

Le mot « trafiquer » me plaît, parce qu’il est rimbaldien, qu’il évoque le bricolage des artificiers amateurs, mais aussi les coups louches des contrebandiers, et l’obstination des chercheurs d’absolu.

« A l’étranger je suis chez moi. »

André Velter a beaucoup voyagé, sa nature est nomade.

« L’âge n’y est pour rien, c’est l’époque qui agonise. / Je ne suis pas plus fatigué sur les routes qu’au temps des courses afghanes ou des camps de base en Himalaya, mais la planète, quelle décrépitude. Ou plutôt, la proliférante espèce humaine, quelle faillite. / Pas question pourtant de continuer sur ce ton. / Il m’appartient de forcer d’autres champs d’action, d’aborder d’autres partitions, d’explorer d’autres états de conscience. J’ai toujours pressenti que l’errance n’était que le prologue d’un désir infiniment plus vaste, et qu’une rencontre se devait d’intervenir et de trouver son lieu au bout du compte autant qu’au bout du monde. »

Il y a pour cela la bibliothèque, qui peut nous aider à mener le duel ultime.

On y marche, on s’y dirige à la bonne étoile, on s’y perd.

Premiers vers de Poésie : « Je t’écoute sans cesse plus intensément. / J’entends cette plénitude sonore qui vient de l’espace-temps avec toi, / Comme si la terre et le ciel n’étaient que la reprise des thèmes d’une symphonie exponentielle. »

Comme Jeanclos, s’enlacer, à Lille, à Paris, à Bruxelles, et ouvrir des porches à l’intérieur de soi.

« Il n’est pas nécessaire d’entreprendre pour désespérer : le monde suffit à cette peine. C’est pourquoi rien n’est plus revigorant que de se rayer de la carte et de se retirer des voitures, mais sans renoncer à trafiquer dans l’infini. » 

Duende à Séville, au Tibet, en Afghanistan, en Inde, dans sa chambre, dans une arène.

« S’il importe d’arpenter les ciels, de sauver le feu originel de l’azur, il n’est que de calligraphier à l’instinct la prime aurore, le grand midi, le crépuscule et la minuit. »

Aimer Délie, aimer l’Idée, relire les Lyonnais Maurice Scève et Louise Labé.

Paul Eluard écrit en un seul souffle L’amour la poésie.

Sapphô, qu’a méditée André Velter, est sublime : « Ah ! ce désir d’aimer qui passe dans ton rire. C’est pour cela qu’un grand frisson saisit mon cœur. Dès que je te regarde, je ne peux plus parler. / Langue brisée, un feu subtil vacille sous ma peau, mes yeux m’empêchent de voir, un sifflement vient à mes oreilles. / Une sueur glacée couvre mon corps, je tremble tout entière possédée et suis plus verte que l’herbe du jardin. Me voici morte, quasi morte je crois. / Mais il faut tout risquer… puisque. »

Avec le Perse Omar Khayam, célébrer l’instant en buvant du vin, jouir « dès maintenant d’un empire éphémère » : « Pourquoi irais-tu pleurer sur ce qui peut advenir ? / Fais-toi servir du vin avant que parte la nuit ! »

Fin amor, chante Jaufré Rudel.

Les pages d’André Velter se constellent des noms des plus grands princes de la Poésie, Pétrarque, Maurice Scève encore (long passage, belle analyse), Ghérasim Luca.

André Velter et Li Po, « simple ermite du sans-limite », mêmes combats dans le simple.

Et citer cette dixième fugue avec François Cheng : « Il n’est pas question / d’une langue secrète, / mais d’un accès ébloui / au verbe même de l’extase, // à la voix qui a pris appui / sur l’inquiétude / avant de rejoindre la voie / du vide et de la lumière. »   

André Velter, Trafiquer dans l’infini, Gallimard, 2022, 130 pages

https://www.gallimard.fr/

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