
Jean-Jacques Schuhl, Paris, 2014 ©Nicolas Comment
« Le temps passe tout doucement pour ceux qui vivent perdus dans un rêve. » (Bob Dylan)
Les lecteurs de l’excellente revue Novo connaissent bien les chroniques de Nicolas Comment (vite, aller vers les dernières pages) sur la musique, ses amis et les artistes d’importance et de tous horizons qu’il a croisés : Alain Bashung, Arielle Burgelin (« muse d’Helmut Newton »), Gérard Manset, Yves Simon, Yannick Haenel, Christophe, Jeanne Balibar, Willy Ronis, Bernard Plossu, Chloé Delaume, Rodolphe Burger, Marc’O, André S. Labarthe, Linda Tuloup, Jean-Jacques Schuhl, Bernard Noël (longue correspondance), Etienne Daho…
Le principe réunissant ces noms est probablement celui de l’engagement dans l’existence poétique, le courage de rejeter les conformismes, la beauté des actes surgis de la nuit intérieure.

Etienne Daho, Hôtel La Louisiane, Paris, 2021 ©Nicolas Comment
L’époque adore détester, Nicolas Comment préfère, et de loin, admirer, célébrer, remercier.
Photographe – l’ouvrage comporte nombre de portraits -, l’auteur de T(ange)r et de Nouveau est aussi écrivain, qui a prouvé avec sa biographie de Jacques Higelin et le volume Dylan in abstentia la qualité de son style.
La poétique est un souffle, qu’elle s’exprime en notes ou mots, il n’y a pas de sens à lui donner des limites.
Il y a chez Nicolas Comment du héraut médiéval, une façon de contretemps, un art savoureux des considérations inactuelles, une façon de vivre naturellement dans la contre-allée.

Linda Tuloup, Paris, 2006 ©Nicolas Comment
En préface, Sam Cuesta, directeur de collection, s’exalte : « Nicolas Comment aime la compagnie de ses aînés, comme ce livre le prouve. Tant mieux pour moi. Son amitié me rajeunit. Je me retrouve à courir à ses côtés sous la pluie, en pleine nuit dans Paris, ivre (plus que lui), insultant les chauffeurs de taxis apeurés qui ne s’arrêtent pas pour nous prendre. Ça m’avait manqué. »
Nicolas Comment, c’est l’intime et les discussions du petit matin après des nuits de création (cigarettes, vin, musique), c’est la joie du corps féminin et le désir électrique, c’est un défi permanent jeté à la société, sans qu’elle n’en ait – tant mieux – la moindre conscience.
Transféré à l’hôpital de la Cavale Blanche, son ami Christophe est mort à Brest du Covid.
D’une élégance extrême, Christophe s’était rendu chez lui, en prononçant ces mots dès son arrivée : « Comme je ne savais pas si tu connaissais ce que je fais, je t’ai apporté ce disque, pour me présenter. »
Bad news from the stars, et persistance des gestes de beauté à travers le temps.

Christophe, Paris, 2014 ©Nicolas Comment
« Quand le disque s’est arrêté, tu as demandé l’heure. Et tu as proposé d’aller acheter des croissants à la boulangerie pour prendre un café en terrasse. Il faisait vraiment très beau. Le ciel était bleu roi et le soleil qui perçait dans la rue Geoffroy-l’Asnier nous chauffait les épaules. Ses rayons accrochaient les petites pierreries de ta veste et semblaient vouloir signifier que c’était toi, le Roi. Nous sommes entrés dans la boulangerie, avons commandé quelques viennoiseries mais, cette fois, j’ai insisté pour payer. Tu es sorti et tandis qu’elle me rendait la monnaie, la boulangère m’a glissé, en aparté : ‘Je le connais bien votre ami, c’est Michel Polnareff !’ »
Christophe, c’était la légèreté, le voilier de Port Grimaud, le dandysme généreux, l’amour de son ex-compagne et amie Audrey.
Voici l’écrivain Jean-Jacques Schuhl, l’art de prendre de son temps, de refuser à la façon des surréalistes toute logique de carrière, et de converser sans fin, notamment sur son ami Jim Jarmush et Bernard Lamarche-Vadel, dont cette pensée est rappelée : « La photographie n’existe pas, l’histoire de la statuaire continue. »

Yannick Haenel, Paris, 2015 ©Nicolas Comment
« Comme Newton en photographie, écrit son visiteur, Schuhl n’aura cessé re renvoyer à la haute société qu’il fréquente (de temps à autre) le reflet d’un miroir sans tain : ‘La mode, mode de rapport (d’argent) d’une industrie, jeu et parade que s’offre une société peut finir par être la suggestion d’une mise à mort de celle-ci’ (Rose poussière, 1972). »
Les chroniques de Nicolas Comment sont longues, on y est bien, entre anecdotes et réflexions de fond sur l’art.
« En matière de photographie, je continue de penser que ce n’est pas la bonne image qui compte, mais plutôt la raison secrète de celui qui la prend. »
Rencontre d’Yves Simon écrivant des textes comme des épures : « Sens inné de la mélodie, pure comme la ligne claire d’une bande dessinée en chanson. »

Yves Simon, Liège, 2006 ©Nicolas Comment
Alain Bashung et de Chloé Mons, « plantureuse et (vraie) blonde du Nord-Pas-de-Calais », se déclare leur amour en s’offrant les paroles du Cantique des Cantiques au Théâtre de Morlaix le 27 février 2005.
Gérard Manset – long et passionnant entretien -, découvert chez un disquaire à Mâcon alors qu’il avait dix-sept ans : « En rentrant chez mes parents, j’ai posé la galette sur le tourne-disque : j’ai d’abord entendu la flûte de Pan, le bourdon d’un synthé, le « rimshot » réverbéré d’une boîte à rythmes sur quatre accords ouverts, et puis j’ai écouté la Voix et je l’ai vue couler, la Rivière. »
Continuer à produire, inventer, poétiser, ne pas apparaître ou rarement, appartenir à l’underground et reconnaître les siens.
Comme on croise parfois dans des soirées brestoises des jeunes se souvenant de Marquis de Sade.

André S. Labarthe, Paris, 2014 ©Nicolas Comment
Milo McMullen porte un tee-shirt de Nico sur ses jambes nues.
Patti Smith croisée par hasard à Tanger : « A cause de mes cheveux en bataille (ou bien m’ayant simplement confondu avec une de ses connaissances ?), Patti Smith s’est calmement approchée de moi, en me fixant, tendrement. J’ai alors vu ses pupilles de jeune femme briller dans la nuit tangéroise, puis j’ai simplement détourné le regard, en baissant les yeux. »
S’il célèbre la vie telle qu’elle s’invente, sans programme strict, dans la disponibilité face à ce qui arrive, Chronique du temps qui passe est aussi un hommage en textes et images aux disparus ayant tant compté, maîtres, messagers, André S. Labarthe, J.M. Straub, J.L. Godard, B. Noël, Christophe, J. Higelin.

Jean-Luc Godard, Lyon, 1996 ©Nicolas Comment
Guy-Ernest Debord est cité (Prolégomènes à tout cinéma futur) : « Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien. »
On se retrouve pour en témoigner au prochain livre, au prochain album, ou dans la vie, simplement, dans la petite cuisine enfumée tard dans la nuit.

Nicolas Comment, Chronique du temps qui passe, exercices d’admiration, introduction Sam Cuesta, Chicmédias éditions & Médiapop, 2023, 308 pages

Willy Ronis, Auvers-sur-Oise, 1999 ©Nicolas Comment
