
Affiche de cinéma, Tokyo, 1961 © William Klein
« En tant qu’Américain vivant à Paris, évoluant entre deux cultures tout en n’adhérant à aucune, William Klein s’est créé pour lui-même une forme d’exil extrêmement productive. Son intérêt pour les pays du monde entier et ses différents engagements l’ont empêché de s’enraciner. Mieux encore, il a travaillé au cœur de la machine à produire des images commerciales tout en demeurant l’un de ses critiques les plus incisifs. Il a produit certaines des images de mode et des spots publicitaires les plus iconiques de son temps tout en réalisant les films les plus critiques qui soient sur ces deux univers. Faisant toujours partie du sérail tout en demeurant étranger à ce milieu. Insider aussi bien qu’outsider. » (David Campany)
William Klein est mort paisiblement à Paris en septembre 2022 à l’âge de 96 ans, mais cet homme-orchestre, ce touche-à-tout, cet inventeur de formes, a tellement marqué l’imaginaire et influencé les plus jeunes générations qu’il n’est pas possible d’oublier son regard percutant, volontiers provocateur, et son esthétique, audacieuse et directe.
Conçu avec les soins du maestro comme une monographie ultime, Yes, publié par Atelier EXB, est une course à cent à l’heure dans l’œuvre d’une vie, des premières expérimentations aux travaux les plus récents comportant de nombreux inédits, l’ensemble, rendant compte d’un éclectisme permanent, étant classé par rubriques témoignant de l’engagement total de Klein dans chacun des médiums et livres inventés : Couvertures de livres / Peintures / Zélande / Abstractions / New York 54-55 / Rome 56 / Moscou 59-61 / Tokyo 61 / Paris / Brooklyn / Fashion / Portraits / Films / Contacts peints.

Membres de l’association du droit au logement, Paris, 2000 © William Klein
Photographe, réalisateur, peintre, maquettiste, graphiste, auteur de films publicitaires (près de 250), William Klein, fils d’immigrés juifs hongrois né à New York, a vécu à un rythme frénétique son interdisciplinarité et son perfectionnisme, se départant rarement d’une sorte de sagesse de fond nourrie de rire et d’une admiration sans retenue pour des artistes expressionnistes/caricaturistes tels que George Grosz.
Défenseur de la cause noire et de « ceux qui n’ont pas la parole » (à partir des années 1960), Klein produit une esthétique de la rencontre, du choc visuel, dans une tonalité satirique (revoir par exemple le film Qui êtes-vous Polly Maggoo ? pour comprendre sa charge de critique sociale contre la mode, les médias, la télévision) accentuée par les gros plans, la confrontation des corps, le flou et la perception graphique des scènes qu’il observe.
L’omniprésence du papier glacé, pour qui a connu le succès avec le magazine Vogue, produit un effet de liquidité unissant l’ensemble des représentations dans une sorte d’océan d’images.

4 hommes au café, vers 1948 © William Klein
Klein imprime pleine page ou double page, refuse les bords, marges ou blancs, immerge son spectateur dans le rectangle de ses visions, utilisant notamment le grand angle et le téléobjectif pour le dérouter.
Il y a dans son grand œuvre un effet de vitalisme très communicatif, choix des graphies/typologies dans le titre de ses livres (YES), entre jubilation dadaïste et Jazz de Matisse, visages de jeunesse s’arrachant des ténèbres (les contrastes sont forts), énergie des corps et de leur lumière.
Klein est pop, mais aussi abstrait, et essentiellement expérimental.
Il fait descendre les modèles dans la rue, et se nourrit de l’électricité urbaine pour déployer son regard.

Yoshimura joue du trombone dans la maison de la grand-mère de Shinohara, Tokyo, 1961 © William Klein
Dans le texte brillant accompagnant le livre, David Campany, directeur de l’International Center of Photography de New York, écrit notamment : « Dans toutes ses photographies de rue l’appareil photo ne fait que constater la présence des motifs de l’art abstrait dans la vie quotidienne. Des mots gribouillés à la main, des lignes géométriques, des blocs de différentes tonalités. Sur les pages de son livre, ces motifs se mêlent à un tableau mouvant d’individus pris sur le vif. »
William Klein conçoit des livres-films, son œil est celui d’un enfant du cinéma doublé d’un metteur en scène très imaginatif.
Il est à Rome (avec Fellini), à Paris, à Moscou, à Tokyo, en Afrique de l’Ouest.
Resté indocile, il se méfie des célébrations officielles, préservant farouchement sa liberté.
« D’une manière générale, poursuit avec justesse son analyste, toutes les créations de William Klein sont une réflexion sur les effets des médias – l’exagération constante, le détournement de l’attention, la manipulation de l’opinion – et leur relation avec le pouvoir politique. Mais ce qui les élève au-dessus du cynisme, c’est leur dimension humaine : un noyau dur d’empathie et de compréhension. »

Gros plan dans la foule, Cinquième Avenue, New York, 1955 © William Klein
Klein est là, dans les grandes villes labyrinthiques, et toujours un peu ailleurs, dans un autre projet, une autre géographie, avec d’autres visages.
L’intéressent le flux, la drôlerie de l’existence – son incongruité, son absurdité -, la façon dont des corps et des solitudes occupent l’espace.
Le photographe franco-américain a beaucoup regardé le peuple, l’a défendu, comme il a cherché à préserver son art de la corruption, acceptant les commandes comme des nouveaux chemins d’expérience.
Savoir se battre, savoir tenir sa position d’extraterritorialité dans le domaine de l’art, parfois si conformiste, savoir s’amuser, savoir aimer.

William Klein, Yes, texte David Campany, recherches, editing, supervision Pierre-Louis Denis, Tiffanie Pascal, conception graphique Loose Joints, édition française Jordan Alves assisté de Hugues Lefilleul, Atelier EXB, 2023, 384 pages – environ 250 photographies couleur et N/B
https://exb.fr/fr/home/569-william-klein-yes.html
