Antoine Vitez, la photographie comme principe d’amitié

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Antoine Vitez, autoportrait, Bièvres, 1970

Le respect attaché au nom et à la personne d’Antoine Vitez, l’un des grands hommes du théâtre français de la seconde moitié du XXème siècle, est général.

Aujourd’hui, à l’initiative des éditions Les Solitaires Intempestifs (Besançon), ses amis se souviennent, dans un bel ouvrage collectif, où, qui n’a pas eu la chance de voir les expositions Portraits au miroir (2008) et Portraits de familles (2010) apprend que l’auteur du Théâtre des idées (Gallimard, 1991) était aussi un très bon photographe.

Face au trente-trois portraits reproduits dans Antoine Vitez, homme de théâtre et photographe, impossible de ne pas penser à la délicatesse de regard d’un Hervé Guibert, le metteur en scène photographiant sa famille (son père Paul Vitez, sa mère Madeleine Vitez, sa femme Agnès Vitez) comme le chouchou d’Yvonne Baby, alors sa directrice au Monde, ses tantes Suzanne et Louise.

Se séparant rarement de son appareil, Antoine Vitez fit de la photographie une pratique quotidienne, comme une volonté de célébrer ses amis (Georges Aperghis, Yannis Kokkos, Florence Delay, Pierre Vial) en se rapprochant de leur visage, mais aussi de témoigner du troublant processus de métamorphose des comédiens disparus sous le maquillage, un peu inquiets avant d’entrer en scène.

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Jany Gastaldi et Antoine Vitez la photographiant, coulisses du Soulier de satin, Barcelone, octobre 1987

En mai 2011, eut lieu, sous les bons auspices de l’université de Haute-Bretagne, une journée d’étude, organisée par Brigitte Joinnault en partenariat avec l’IMEC, intitulée L’Instant exalté – Antoine Vitez metteur en scène et photographe – poétiques et transmissions, dont quelques interventions sont reproduites ici.

Celle par exemple de Marie Vitez, sa fille, dans un texte intitulé « Retour aux sources » : « En regardant ces centaines, ces milliers de photos, ces visages, ces regards, la lumière qui s’en dégage, le cadre, les lignes de fuite, la netteté et les flous, on ressentait le sentiment à la fois d’acuité et de bienveillance de son propre regard, et son humanité. »

Ou de son autre fille, Jeanne, soulignant l’importance d’un grand-père photographe de quartier, « anarchiste et misanthrope », n’ayant eu pour toute famille que les enfants de l’Assistance publique qui l’éleva.

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Alain Recoing, au Martinet, été 1978, par Antoine Vitez

Rejoignant le parti communiste, son fils unique, Antoine, proche de Louis Aragon et de Jack Ralite, aura étendu très certainement la notion de famille à la recherche d’une fraternité prenant la double dimension du théâtre et de l’engagement politique.

Le dramaturge Michel Vinaver, invité régulier de la maison des Vitez à la Nogarède dans les Cévennes, livre cet aveu : « On marchait, on mangeait et on buvait, on riait beaucoup, on se baignait dans le ruisseau en contrebas, on conversait. Et de temps en temps, un déclic. Sans raison. Sans avertissement. J’étais pris en portrait. Capturé en quelque sorte. Par mon metteur en scène, mon hôte, mon ami. Moi qui n’aime pas être pris en photo. Mais là, inexplicablement, je ne me rétractais pas. C’est comme si Antoine me faisait entrer plus avant chez lui, redoublait son accueil. »

Apparaissent au détour des pages, éclatants de présence, Nadia Strancar, Aurélien Recoing, Valérie Dréville, Ludmila Mikaël, Jany Gastaldi, vitéziens historiques.

Dans un beau texte, « Le legs des photos », Georges Banu comprend ainsi les images du Pygmalion Vitez, photographe des seuils et des mutations : « Vitez ne photographie pas ses spectacles – ni ceux des autres – mais seulement ses acteurs, dans leur isolement, dans leur vérité, dans leur entredeux ! Ils sont saisis, le plus souvent en train de se préparer pour accéder au plateau, c’est ce « bougé » essentiel qui séduit. Non pas « bougé » de l’image, mais de l’être acteur. »

Dans ses autoportraits, Antoine Vitez semble se cacher derrière son appareil, comme si l’être qui se regardait avec fermeté cherchait à s’assurer de sa présence tout en disparaissant, visible et pourtant masqué.

Dans un entretien avec Chantal Meyer-Plantureux ayant eu lieu en 1992, Antoine Vitez déclare : « La photographie de théâtre doit être de la poésie : un art qui peut se lire séparé du théâtre et qui ne doit pas avoir une utilité immédiate ; ce ne doit pas être un dérivé du théâtre. (…) Les photographes de théâtre accrochent leur œuvre, leur désir de photographie sur l’un des aspects de la mise en scène ; l’un le fera sur la matière de la lumière, l’autre sur le mouvement, le troisième sur l’expression du visage. Je revendique pour les photographes de théâtre cette fonction poétique. »

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UTT, Carlotta Ikeda / Cie Ariadone, 2013 – par Frédéric Desmesure

On pourra juger à cette aune le travail de Frédéric Desmesure tel que publié par les éditions Le Bleu du ciel (Libourne) et l’OARA (Office artistique de la Région Aquitaine) dans un livre intitulé Vivant, mémoire d’une décennie d’engagement public en faveur du théâtre.

Des images d’une soixantaine de pièces ou spectacles (il faudrait les avoir tous vus) sont ainsi montrées, qu’il s’agisse d’œuvres aussi différentes que UTT de Carlotta Ikeda, C’est par où, c’est par l’Art de la compagnie Lubat et Sauterelles de Dominique Pitoiset.

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Epouser tes méandres, Cie Wolf, 2014 – par Frédéric Desmesure

Entre 2005 et 2015, Frédéric Demesure a photographié sans relâche la passion des comédiens, leur sainte fureur, leur ferveur, en s’attachant aux détails plus qu’à l’ensemble, inventoriant des états de corps saisis au plus près de leur transformation.

L'Assommoir d'Emile Zola mise en scène de David Czesienski TNBA
L’Assommoir, Collectif Os’o, 2011 – pr Frédéric Desmesure

Kaléidoscope de gestes, postures, attitudes, Vivant est un éloge des acteurs au travail, montrant que les plus grandes émotions provoquent une défiguration qui est de l’ordre du sans âge ou de la trace de l’immémorial dans un corps, un visage, ouvert à ce qui le traverse.

Ou le théâtre comme art de la transfiguration.

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Atoiine Vitez, homme de théâtre et photographe, livre collectif, sous la direction de Brigitte Joinnault, en compagnonnage avec Marie Vitez, éditions Les Solitaires Intempestifs, 2015, 144p

(photographie du pêle-même en une : Marie Vitez)

Editions Les Solitaires Intempestifs

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Frédéric Desmesure, Vivant, éditions Le Bleu du ciel, 2016, 98p

Editions Le Bleu du ciel

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