
Malaisienne d’origine chinoise et sikhe, Diana Lui est une artiste pour qui la question des identités fermées relève du non-sens.
Son travail photographique, reconnu internationalement, comporte une dimension hautement spirituelle, en ce qu’il cherche à témoigner de la saveur et des vertiges des correspondances, entre microcosme et macrocosme, petit et grand point, dans la sensation permanente du Monde un, l’unus mundus cher aux alchimistes et à l’analyste suisse Carl Gustav Jung.

Fruit d’une résidence innovante à Toulouse (projet 1 +2, conception et direction artistique Philippe Guionie), sa dernière œuvre, de l’ordre d’une vaste installation (catalogue Les étoiles de Diana, Filigranes Editions, 2016), est d’une ambition folle, démesurée, merveilleuse.
D’abord, un ensemble de portraits effectués à la chambre intitulé Toulousaines, c’est-à-dire une série de treize images montrant de façon frontale des habitantes de Toulouse portant des costumes traditionnels ou plus contemporains (une robe datant de 1991, brodée d’un semis de violettes, fleur cultivée localement, est du styliste Christian Lacroix), issus de divers musées de la ville – Musée Paul Dupuy, Collection Le Poutou, Collection Terre de Pastel, Collection Cinémathèque de Toulouse, Collection Jean-Pierre Daraux, Collection Bleus de Pastel de Lectoure.

Chaque portrait est accompagné d’une fiche donnant divers renseignements sur l’origine ethnique/géographique des modèles, quelques éléments de leur histoire personnelle, leur métier, le lieu de prise de vue, des explications concernant le costume, soit pêle-mêle, pour la première rubrique, « française d’origine vietnamienne, toulousaine et limougeaude », « française d’origine mexicaine adoptée par des parents anglais », « française d’origine ivoirienne de père inconnu »…
Prenons Toulousaine #8, et lisons : « Rwandaise d’origine peule », « Orpheline à l’âge de neuf ans, elle est prise en charge par ses deux tantes qui vivent l’une au Rwanda et l’autre en France. Arrivée en France en 2005, elle vit à Toulouse jusqu’à vingt-trois ans avant de s’installer récemment à Paris. Elle est passionnée par la photographie. », « Modèle, aide sociale », « La Chapelle des Carmélites », « Ensemble : bustier, jupe collerette et paire de manchettes, satin, tulle et cabochon en matière synthétique, Paris, 1992. »

Photographiés à la manière du maître allemand August Sander, les modèles, féminins, sont superbes, qu’unit le bleu pastel, couleur issue de la plante médicinale nommée Isatis Tinctoria, qui fit la fortune de la capitale occitane dès le Moyen Age.
On comprend ici qu’il s’agit pour Diana Lui de faire dialoguer espaces et temps, dans un jeu permanent entre matières, identités, époques et sociétés, dans une archéo-poétique du présent abolissant les antinomies factices : « En photographiant ces femmes de tous âges et de toutes origines, je questionne à la fois la place du patrimoine dans la société contemporaine, celle de l’individu entre son passé et son présent et plus spécifiquement l’identité de la femme d’aujourd’hui, l’identité hybride du XXIe siècle étant l’un de mes sujets de prédilection depuis plusieurs décennies. »

Adepte d’une pensée nomade et syncrétique, la photographe associe aussi – c’est le second niveau de son projet – ordres terrestres et célestes, Toulouse, ville de nature alchimique, possédant un Observatoire astronomique d’importance depuis la fin du XIXe siècle.

Dès le Moyen Age – on trouve dans la basilique Saint-Sernin deux cartes du ciel exceptionnelles datant du XIIIe siècle – cartographier le ciel a d’ailleurs été l’une des ambitions majeures d’une cité ayant accueilli très tôt une université d’importance (transmettre/chercher/découvrir).

Retrouvées par la photographe, des plaques de format 16 cm x 16 cm constellées de points lumineux, signalant jusqu’à la présence de plus de onze mille étoiles, sont montrées dans leur beauté et leur mystère, que la rencontre du CHemCam – robot conçu à Toulouse par les équipes de Sylvestre Maurice, actuellement en activité sur la planète Mars, et transmettant chaque jour à la NASA son lot d’images incroyables – ne fait qu’accentuer.

Avatar des astrophysiciens de l’IRAP (CNRS, Univ. Toulouse, Obs. Midi-Pyrénées), ChemCam impacte le paysage martien avec ses lasers en laissant cinq trous alignés verticaux ou horizontaux : « Ce sont les empreintes digitales de son passage. J’ai eu l’idée de faire signer son frère jumeau terrain de cette fameuse « signature » sur mes plans films vierges. »

On le constate, art et science s’allient ici pour explorer les origines même de l’univers et de l’être.
La lune, une toile de coton brodée, une carrière de pierres historique, un drôle de petit personnage high-tech.

La dimension à la fois vernaculaire et très contemporaine des images de Diana Lui sert ici un projet porteur d’une grande spiritualité, posant à l’homme la question de sa place sur terre et dans le cosmos, et celle de sa responsabilité dans l’effondrement de son règne, ou non.
Ou la photographie au service d’un humanisme repensé pour le XXIe siècle.
Diana Lui, Les Etoiles de Diana, 64 pages – in Diana Lui, Alice Lévêque, Léa Patrix, 1 + 2, résidence # 2016, trois livres dans un boitier cartonné, Filigranes Editions, 2016
Associant un photographe de renom, et deux jeunes photographes, la Résidence 1+2 est un programme photographique ancré à Toulouse et à vocation européenne (Toulouse, Barcelone, Bruxelles). Pour sa première édition, Diana Lui a été associée à Alice Lévêque et Lea Patrix.
On pourra retrouver la parole de Diana Lui dans le livre La Résidence photographique en France #1, Colloque national, Filigranes Editions, 2016, qui regroupe un ensemble de réflexions très riches de photographes, éditeurs et directeurs artistiques à propos des enjeux (personnels/territoriaux/institutionnels) de la résidence photographique.
Et Philippe Guionie de citer Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasard dans la vie, il n’y a que des rendez-vous. »


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