Le point de vue d’un bouseux, L’été des charognes, premier roman de Simon Johannin

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Simon Johannin a écrit son roman, L’été des charognes, comme qui découvre en jouant, sans complexe excessif, les lois de son instrument.

Véritable geste d’écriture, ce premier livre frappe par l’intensité de sa tenue, plongeant le lecteur dès son ouverture dans un monde d’intelligence violente et de malignité, où les bêtes et leurs excréments forment une glaise épaisse, matière même des enfants cruels que l’auteur met en scène.

Construit comme un triptyque, L’été des charognes pose la question du devenir-adulte de ce limon premier, entre perte de l’innocence perverse, et entrée dans un monde contemporain à bien des égards infernal.

On peut aborder la lecture de cet ouvrage comme une invitation à pénétrer dans un territoire familier et étrange, où l’animalité est une condition de vérité.

Conversation avec Simon Johannin, jeune auteur entré en littérature par la porte du négatif et de l’humour de sauvegarde.

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Par quels livres êtes-vous entré en littérature ? Quels ont été les ouvrages ayant déclenché votre vocation d’écriture ?

Les premiers, c’était les Fantomettes version Bibliothèque rose, puis Harry Potter et Le Trône de fer, la traduction de Game of thrones.

Je ne sais pas vraiment s’il y a un livre après la lecture duquel je me serais dit : « C’est ça que je vais faire. » Peut-être ne l’ai-je pas encore trouvé. Mais si je dois vraiment en citer un, ça serait peut-être le comic Preacher de Garth Ennis et Steve Dillon, ou L’éveil du Printemps de Frank Wedekind,  qui fut un vrai choc.

Considérez-vous votre premier livre, L’été des charognes, comme un livre de fiction autobiographique ? Où avez-vous grandi ? Dans quel type de famille ?

Ça pourrait être cela, mais en même temps je ressemble très peu au narrateur, surtout dans la première époque qui est la plus importante du livre, et même si j’y ai mis beaucoup de choses de l’environnement de mon enfance, bien que celui-ci soit moins violent.

J’ai grandit dans un hameau du nord de l’Hérault, dans la Montagne noire. Ma famille s’est installée là un peu avant ma naissance, c’est tout ce que j’ai connu jusqu’à mon départ à dix-sept ans. J’ai une famille assez exigeante, où la culture était conjuguée avec l’activité physique du travail et la rudesse des éléments de l’environnement. C’était un peu ambiance Captain fantastic, le film de Matt Ross.

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Avez-vous écrit les scènes où éclate la cruauté inhérente au milieu dans lequel vivent vos personnages comme une possibilité de traverser le mal ? Pourquoi une telle fascination pour la bêtise et la violence ?

La cruauté n’est pas qu’inhérente au milieu de mes personnages, elle est partout. Donc elle est là aussi, dans des formes spécifiques.

La plupart des scènes violentes le sont envers les animaux, parce que notre société s’acharne contre eux, nie la vie des êtres que l’on propose à la consommation. C’est une question de responsabilité : si l’on consomme, on doit avoir conscience de la violence induite. Et celle que je décris est la moins atroce de l’échelle quand il s’agit de manger de la viande. On fait avec ou non, ça regarde chacun, mais nier cet état de fait, c’est là où ça devient vraiment pervers.

Je ne suis pas fasciné par la bêtise, dans le livre comme dans le reste. La question soulève la difficulté à faire la distinction entre la précarité matérielle, qui peut être un choix, et celle de l’esprit. Mes personnages sont intelligents, et cette intelligence est effective dans leur environnement. Ils sont ceux qui sont les plus à même de s’en sortir dans les situations qu’ils traversent.  La bêtise apparaît surtout dans le jeu et l’amitié. Pour moi, un véritable ami est une personne avec qui on prend un vrai plaisir à être bête, à qui on ne veut rien prouver d’autre que sa capacité à le faire rire, à le rendre heureux. Même si parfois ça peut dérouter les autres.

« Merde, dans toute chose il y a une part pour les anges. » Pourquoi avoir privilégié la « merde » et non « les anges » ?

Les anges, on verra après si ça existe. La merde était là, alors j’ai fait avec ce que j’avais sous la main. Mais L’été des charognes reste un livre où le monde invisible se manifeste souvent.

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Le motif de l’animalité structure votre livre. Quel est pour vous le propre de l’homme ? Avez-vous lu Le Règne animal de Jean-Baptiste del Amo auquel votre livre m’a parfois fait penser ?

Je ne sais pas, rire et manger au delà de la faim on dirait. Sa capacité à engendrer l’horreur aussi. Mais pour moi l’amour dépasse le reste, c’est ce que je veux.

Non, je n’ai pas lu Le Règne animal, on m’en a parlé plusieurs fois et je vais m’y mettre bientôt puisqu’on va discuter ensemble, avec Cécile Coulon également, lors du prochain Marathon des Mots à Toulouse le 23 Juin.

Que représente le commandant Massoud pour votre protagoniste ?

Le commandant Massoud est une figure importante de ma propre enfance. Je l’ai connu très tôt à travers les films de Christophe de Ponfilly, qui a consacré une grande partie de son travail à ses luttes et à son pays. Pendant que les autres étaient sur Buffy contre les Vampires, je regardais Massoud l’Afghan parce que c’était le genre de film qu’on me montrait.

Massoud, c’est celui dont on aurait dû un peu plus parler à la place de l’autre, ça aurait évité un certain nombre de départs d’ici vers la mort, et de la mort vers ici. Cependant, dans un système de course à l’audience qui fait tourner le monde médiatique, il était moins intéressant à marteler. Il était l’un des remparts aux mauvaises choses que l’on exalte aujourd’hui, mais les affaires sont les affaires.

Dans le livre, il apparaît comme une vigilance, c’est un héros de film qui stimule l’imagination et la bravoure des jeunes, peut-être simplement pour rappeler que les héros musulmans existent aussi.

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Les blagues que vous inventez (« Pourquoi les blondes ont-elles des cercueils triangulaires ? – Parce qu’elles ont les jambes écartées. ») relèvent-elles d’une logique de méchanceté ?

Je n’invente rien, ce sont des blagues que j’ai entendues et que j’entends encore sous d’autres formes. Comme je parle du monde contemporain, je les inclus dans le récit. C’est une manière pour moi de montrer comment le sexisme est implanté très tôt dans la tête des jeunes garçons. Et quel que soit le milieu, c’est partout pareil. Ce sont des mécanismes que l’on intègre très vite, notamment via l’humour. Et L’été des charognes est aussi une galerie de personnages qui reflètent des comportements parfois violents et ordinaires, parfois drôles ou touchants.

L’hyperréalisme mène au burlesque. Etes-vous un adepte du décalage à la Bruno Dumont tel que mis en œuvre dans P’tit Quinquin (2014) et Ma Loute (2016) ?

Oui, il y a un quelque chose d’assez fou chez lui. J’adore les gendarmes de P’tit Quinquin même si tout ça m’ennuie rapidement. Mais j’ai connu beaucoup de situations où le réel éclatait la fiction, où des anonymes ont fait naître des situations plus intéressantes que ce que j’aurais pu visionner ou lire, et où je me disais : « Ce n’est pas possible, c’est un film. »

Comment avez-vous composé, monté, organisé votre livre comportant trois parties, dont une première bien plus longue que les deux autres ?

Comme ça, de manière assez naturelle. J’ai mis longtemps à comprendre que j’étais en train d’écrire un roman. Je ne me posais pas la question, ça me plaisait, c’était une vraie découverte à chaque page. J’ai commencé par écrire la fin, sur le partage du monde entre les êtres qui le regardent. Ce sont des choses que j’avais en moi depuis longtemps et qui se sont débloquées d’un coup. A la lumière de certaines expériences ou observation, ce territoire du passé est revenu comme un ressac. Certaines lectures ont servis de carburant, comme Le Versant animal de Jean Christophe Bailly ou Anima de Wajdi Mouawad. Et puis le reste est venu parce que j’ai continué d’écrire. A un moment, j’avais fini.

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Quel a été pour vous le passage le plus difficile à écrire ?

Le tout début du livre sans doute. C’est ce qui a mis le plus de temps à monter. Et puis une nuit, c’est parti, j’ai vu les deux gamins qui marchaient sur le bord de la route et voyaient le chien avant de lui tomber dessus. J’ai écrit le premier paragraphe et lendemain, je n’avais plus qu’à suivre le fil. La principale difficulté du projet était de gérer les bons niveaux de langage, de ne pas utiliser des mots n’appartenant pas aux personnages tout en cherchant à faire émaner d’eux une poésie sincère.

« Un jour avec les copains il nous a montré comment faire un poison violent avec des amanites séchées, des graines d’if et de belladone. » : avez-vous trouvé cette recette dans Macbeth de Shakespeare ?

Non, je l’ai trouvée tout seul avec ce que la nature offrait de plus toxique autour de chez moi, mais si c’est la même dans Macbeth c’est bien.

Quand votre narrateur rencontre Chloé la tonalité change, et devient sentimentale, voire érotique (« Elle m’a traversé comme une cascade de lumière. »). Aimeriez-vous explorer ce registre ?

J’adorerai écrire une histoire d’amour, j’ai plein de choses à donner.

L’été des charognes est-il aussi une lettre à Lou, prénom symbolisant pour votre protagoniste l’intensité d’un amour perdu ?

Les pages sur Lou sont les pages sur l’amour que j’aurai voulu lire à quinze ans, elles sont surtout écrites pour les adolescents et adolescentes qui passeraient par là, comme un clin d’œil à celui que j’étais, à ces âges étranges et à la chance que j’ai d’avoir eu le temps de les vivre. Mais je ne pense pas qu’elles imbibent le texte en entier, qu’elles prennent le pas sur l’animalité du livre, sur le rapport complexe entre l’enfance et la violence que j’essaye d’éclairer un peu.

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Quel est votre processus d’écriture ? Ecrivez-vous vite ? Reprenez-vous beaucoup vos phrases ? Comment naissent-elles ?

Je n’ai pas de processus. J’ai n’ai encore rien écrit d’autre de l’ampleur de L’été des charognes qui est ce qu’il est, et j’ai tout découvert en m’y mettant. Certaines fois, tout marchait d’un coup, pour d’autres j’ai dû tout reprendre plus de dix fois, parfois simplement parce que j’avais plaisir à m’égarer, à essayer des choses. J’ai tout découvert en même temps, la liberté, l’autocensure, les fautes de goût, etc. C’est ce qui fait que ça ne ressemble pas à grand-chose d’autre. Je n’ai pas décidé au départ d’écrire un livre, jusqu’à ce que ça en prenne la forme. J’étais très étonné de ce qui sortait. Le reste relève de l’écoute de soi, d’une furieuse nécessité.

Je ne sais pas si j’écris vite. Si un an c’est rapide au vu de ce que je propose alors j’écris vite, si c’est lent alors non. Je réécris quand même beaucoup, parce que je ne m’applique pas au premier jet, je laisse filer comme ça vient, après je repasse, je fais lire à des proches, je lis à voix haute et puis à un moment j’ai le sentiment que les choses sont bien à leur place.

Vous signez dans le huitième numéro de la revue Possession Immédiate un texte intitulé « Le plein de fraîcheur et d’économie », qui est un portrait désastreux et plein d’humour de l’époque. Quelle est votre stratégie pour échapper au devenir-déchet des vivants qui parlent ? Vous êtes jeune, comment comptez-vous grandir ?

Ça me fait penser à ces questions posées par Christophe de Ponfilly dans sa lettre ouverte à Joseph Kessel : « Lorsque les vivants deviennent sourds faut-il se taire ? Y- a-t-il un sens à parler dans le désert du silence des autres ? »

Je ne suis pas sûr de comprendre, c’est vrai que beaucoup de ceux que l’on écoute parler, dont on diffuse la parole sont des vraies ordures. Est-ce qu’il s’agit de dire que lorsqu’on entend les échos de nos paroles quelque chose est corrompu ? Ma méthode est simple, rester fidèle aux choses que l’on sait vraies. C’est valable pour moi, parce que ces choses relèvent du bien. Je ne sais pas comment fonctionnent les méchants.

Moi même je me sens un peu coincé. J’ai des perspectives qui se débloquent maintenant avec le livre, mais matériellement les choses sont difficiles à faire bouger. Avec le temps je vois que c’est surtout une question de naissance, d’arbitraire. Soit on naît dans un milieu avec de l’argent et la question ne se pose pas, soit on angoisse. Certains paliers semblent infranchissables. Difficile de penser autrement, en tout cas pour moi. Les alternatives sont rendues invisibles ou sont violemment détruites. La place de l’argent domine tout le reste, ça devient obsédant, aliénant. L’argent est imposé partout, alors il en faut pour être en paix. Sinon très vite on nous fait la guerre.

C’est une question de condition, d’accès aux opportunités. Il y a des gens qui peuvent faire ce qu’ils veulent, et d’autres qui ont juste le choix entre la mort ou la prison, les extrêmes sont hallucinants. On est partie prenante d’un monde où les règles sont absurdes et injustes. Aujourd’hui l’espérance de vie, d’une vie heureuse, ça dépend plus de la couleur de son passeport que de ses propres capacités. De ce point de vue là je m’en sors bien. Dans tout ça, l’art permet parfois de respirer un peu.

J’aimerai que les choses aillent vers le bien, mais je n’en sais rien, je n’ai pas le sentiment de pouvoir maitriser, tout peut vraiment changer très rapidement.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Simon Johannin, L’été des charognes, Allia, 2017, 142 pages

Découvrir les éditions Allia

FORS INTÉRIEURS

Simon Johannin participe également au nouveau numéro de la revue Possession Immédiate intitulé Fors intérieurs, aux côtés de Christina Abdeeva, Gwenaëlle Aubry, Ethan Assouline, Boris Bergmann, Anton Bialas, Mehdi Belhaj Kacem, Giasco Bertoli, Léa Bismuth, Johann Bouché-Pillon, Nicolas Chopin-Despres, Gilles Collard, Nicolas Comment, Romain Dauriac, Frederika Amalia Finkelstein, Kendell Geers, Philippe Gandrieux, Ferdinand Gouzon, Yannick Haenel, Mickael Soyez, Kamilya Kuspan, Gaëlle Obliégly, Jean-Noël Orengo, Clément Roussier, Henry Roy, Georgina Tacou, Mathieu Terence, Ben Wrobel – volume 7, printemps 2017, 144 pages 

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