Paraissent très régulièrement – au pas vif du marcheur urbain – dans la collection « Le Paris des écrivains », des éditions Alexandrines, de précieux petits livres conçus comme des précipités de saveurs, des manières d’accéder à la ville capitale par le regard d’un écrivain majeur y ayant laissé son beau fantôme.
Parmi les derniers en date de ces anti-guides vagabonds, Le Paris de Cendrars, du docteur et libraire Olivier Renault, auteur à La Table Ronde de Rouge Soutine et Bonnard, jardins secrets.
Phénix renaissant constamment de sa ruine, Cendrars, monstre hâbleur, est une machine de fiction diabolique, géniale, fascinante.
Né en Suisse, Frédéric Sauser a vécu là, ici, partout, et surtout au pays sans frontière de l’écriture.
Au Grand Hôtel des Nations, rebaptisé par l’auteur Hôtel des Etrangers (rue Saint-Jacques), Cendrars lit, écoute (époque où l’amour se faisait encore en chantant à tue-tête, à tue-corps), boit, prend des notes.
Il fait tous les boulots, va au Louvre, a des visions, puis déguerpit, à Saint-Pétersbourg, à New York.
Avec Cendrars surgit le Paris des marginaux, des anarchistes, des plus-que-vivants, des « héroïnes de trottoir », des grands fous.
En 1912 à New York, Cendrars « affamé, pauvre, désillusionné, entre dans une église presbytérienne où il entend, captivé, La Création de Haydn. Eblouissement. Il rentre chez lui et se met à écrire. »
Ce sera le fabuleux Pâques, envoyé à Apollinaire à Paris, et rien ne sera plus jamais comme avant en territoire de poésie.
Cendrars rencontre Robert et Sonia Delaunay, part à la guerre, perd son bras droit, puis son ami l’Enchanteur.
L’écrivain s’installe à Montparnasse – « Le fait est unique. Juste après la Grande Guerre, pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, le centre du monde créatif n’est pas une ville, comme naguère Rome, Florence ou Venise, mais bien un quartier. »
Peintres et écrivains, même combat, mêmes ruches. Chagall, Picasso, Modigliani, Léger, Cocteau, Jacob, Reverdy, Kisling, Soutine, et tant d’autres sont là.
La Rotonde est une Babel.
Passe Henry Miller, qui devient son ami.
Témoignage de l’Américain : « C’est le plus grand conteur que j’aie jamais entendu ! »
Cendrars bourlingue, à Paris, et ailleurs, rencontre Remy de Gourmont, la jeune actrice Raymone Duchâteau (amour platonique, voir plus bas), va au cinéma, chante la Tour Eiffel, écoute de la musique au Bœuf sur le toit, bouge sans cesse, se multiplie, se réinvente.
La vie de Cendrars est une aventure, Cendrars est l’aventure, qu’Olivier Renault exalte superbement par le prisme de sa vie parisienne.
Mais, pour publier un tel livre, il fallait une chef d’orchestre, Marie-Noëlle Craissati, responsable des éditions Alexandrines, avec qui je me suis entretenu.
Pourquoi avoir choisi de vous appeler les Editions Alexandrines ?
En référence aux origines égyptiennes de la créatrice et en clin d’œil au poème de douze pieds…
Qui sont les personnes qui font vivre cette structure éditoriale ?
A l’intérieur, deux personnes, plus un maquettiste et un correcteur externes.
Quel a été l’acte inaugural de votre maison d’édition ?
Nous avons commencé par une géographie littéraire des régions de France, en commençant par les départements, puis les régions.
Comment cherchez-vous à la développer ?
C‘est notre collection du « Paris des écrivains » qui nous occupe à présent à temps plein.
La collection « Le Paris des écrivains » comporte vingt-cinq titres.
Vingt-cinq, bientôt trente.
Y a-t-il un cahier des charges donné à chaque auteur ? S’agit-il chaque fois de faire le portrait d’un écrivain à travers ses lieux de prédilection dans la capitale ?
Il s’agit de raconter la vie parisienne de l’écrivain, en gommant tout ce qui n’est pas parisien ; une biographie vivante, truffée d’anecdotes vécues, et bien ancrée dans la ville, bien située, portant des références aux personnes rencontrées et aux lieux fréquentés par l’écrivain. Ne pas faire œuvre universitaire, un minimum de notes. Faire une œuvre vraie mais « romanisée ».
Quel est le principe de vos autres collections, « Balade » et « Les écrivains vagabondent » ?
C’est toujours une relation de l’écrivain à son « pays » d’appartenance : sa vie, sa maison, ses activités, sa production littéraire.
Quel est votre titre le plus vendu ?
En régions, Le Var des écrivains, la Seine Maritime des écrivains, Nice des écrivains.
A Paris, Le Paris de Proust, Le Paris de Hugo, Le Paris de Céline.
Patrick Modiano est pour le moment le seul écrivain vivant présenté dans « Le Paris des écrivains ». Envisagez-vous d’autres contemporains ?
Oui, tout-à-fait !
Comment diffusez-vous vos livres ? Avez-vous des partenariats privilégiés avec les Maisons et Musées d’écrivains ?
Nous travaillons avec Les Belles lettres distribution diffusion.
Malheureusement, les maisons d’écrivain, qui étaient il y a quelques années friandes de nos ouvrages, ne prennent plus que les livres de leur auteur, et non plus sur l’auteur.
La France est-elle par excellence le pays des écrivains ? La défense de la littérature peut-elle être considérée comme l’un des signes d’appartenance à notre nation ?
Oui sans doute, avec l’Italie probablement. Chaque pouce du territoire de France évoque ou est chanté par un grand poète ou écrivain. Le lien est beaucoup moins évident dans les autres pays.
Des collections telles que les vôtres ont-elles des équivalents à l’étranger ?
Il existe des livres généralistes sur les auteurs, par pays ou grandes villes, mais pas de livres qui vont aussi loin dans le détail du rapport de chaque auteur avec leur lieu d’inspiration.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Olivier Renault, Le Paris de Cendrars, Editions Alexandrines, collection « Le Paris des écrivains », 2017, 128 pages
Pour connaître plus intimement encore l’homme foudroyé que fut Cendrars, l’enthousiaste lecteur peut lire sans tarder les premiers volumes de sa correspondance établie par Christine Le Quellec Cottier, dont les éditions suisses Zoé ont entrepris la publication exhaustive.
Précédant la parution très récente de ses passionnantes lettres au poète, critique et fondateur de revue Jacques-Henry Lévesque (chronique à venir dans L’Intervalle), la correspondance avec la comédienne Raymone Duchâteau s’avère une pièce maîtresse à verser au dossier cendrasien.
Rencontrée en 1917 à Paris alors qu’il était encore mariée à Féla Poznanska, la mère de ses trois enfants, l’actrice aixoise a alors vingt ans. Il en a trente, et l’aime immédiatement d’un amour qui n’est pas réciproque sur le plan physique.
En 1949, ils se marient, mais c’est une union bien curieuse, blanche, platonique, mystérieuse.
Recueil de sept-cent lettres (surtout de Blaise), leur correspondance est une riche matière pour comprendre Cendrars au quotidien, sa difficulté à écrire, son masochisme amoureux, peut-être…
Préfacière de cette très belle édition, l’universitaire Myriam Boucharenc cite à propos ce vers des Amours d’Ovide : « Ne sine te nec tecum vivere possum », je ne peux vivre sans toi, ni avec toi.
S’écrivant notamment sous l’Occupation, les lettres de Cendrars et de son égérie, fidèle de la troupe de Louis Jouvet, disent sans détour la réalité d’une expérience vécue, l’écrivain se montrant des plus méfiants envers la Résistance (surtout par anticommunisme) et les alliés soupçonnés de ne point craindre les massacres de civils, se retirant peu à peu des affaires du monde (« Je suis archi-mûr pour la Trappe ») pour le très exigeant métier de l’écriture (« énorme difficulté »), la composition (inachevée) de La Carissima.
Extrait de la lettre du mardi 14 décembre 1943 : « Et l’absence de charité est la marque du mal. Regarde autour de toi et raconte. Tu verras que tout ce beau monde dont tu me parles manque de charité. »
L’extraordinaire Raymone Duchâteau dans un entretien avec Michel Bory diffusé le 4 avril 1977 sur les ondes de La Radio Suisse Romande : « Mais je l’aimais comme… Je l’aimais comme mon grand-père, comme un frère… Enfin j’avais une espèce de tendresse pour lui, parce qu’il a toujours souffert. JE l’ai toujours vu souffrir, toujours, toujours, toujours… Parce qu’on lui avait coupé son bras, là, au-dessous du coude. Alors, il avait tous les nerfs qui lui faisaient mal, et il souffrait. C’était affreux. Moi, je l’ai aimé comme mon grand-père mais dans le fond, j’aurais dû l’aimer comme mon enfant. »
Plus loin : « Mais vous savez, c’était un être… ça peut faire rire beaucoup de gens mais j’ai jamais connu d’être aussi pur que lui. (…) c’est un homme qui était fait pour ça, pour aller au bordel mais qui avait besoin de pureté, il était pur, il était merveilleux comme ça. Il était comme une boule de feu quand il rentrait chez vous. Et puis alors, vous ne pouvez pas savoir le nombre incalculable de femmes qu’il a connues dans sa vie. Et des femmes très belles, et des femmes avec des situations extraordinaires. Mais pour Blaise, ça ne comptait pas, ça. Ce qui comptait, c’était cette espèce d’amour que nous avons eu dans un sens, qui est tellement beau. C’est si rare. »
Blaise Cendrars / Raymone Duchâteau, Correspondance 1937-1954, Sans ta carte je pourrais me croire sur une autre planète, éditions Zoé, 2015, 592 pages
Blaise Cendrars / Jacques-Henry Lévesque, Correspondance 1922-1959, Et maintenant veillez au grain !, éditions Zoé, 2017, 752 pages
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