
De One eyed Ulysses, de JM Ramirez-Suassi, le lecteur ne saura que ceci : « The photographes of this voyage from the outskirts to the center of the city were made, with few exceptions, in Madrid between 2013 ans 2017. »
Se présentant sans aucun autre texte, ce livre superbe, étonnant – en couverture quatre fenêtres percées dans le carton, quatre œilletons de dimensions différentes capturant des oiseaux en vol – est une ode, sensuelle, en grand format, à la pure visibilité.
L’auteur de Reconstructing Crusoe s’approche de Madrid depuis son extériorité la plus large, celle des grillages barrant l’accès au paradis supposé, des barbelés peut-être, des cactus certainement.

Il faut marcher sous le soleil jusqu’à renaître en terre étrangère, homme sable, homme terre, homme limon.
La boue rouge recouvre le visage, le corps – il fallait bien disparaître dans le paysage -, que l’eau limpide va bientôt disperser.
Le personnage que suit JM Ramirez-Suassi, nouvel Ulysse (c’est partout ici), subit une métamorphose sous l’œil placide des chats.

Il croit en Dieu, au pope (un chat ?), à la dispersion des graminées.
Un conte se construit entre les pauvres piliers d’un pont ferroviaire de campagne.
Il y a une mariée (une veuve noire ?), un pull jeté dans la poussière, une bulle de chewing gum comme un espoir frêle de passer les murailles.


Dans les abris de fortune se réfugie l’homo sapiens dans sa migration millénaire.
C’est un oiseau aux ailes collées par une peinture verte, des boules de sapin de Noël sous les roues d’un tracteur, des sacs plastiques étalés dans les végétaux comme des toiles d’araignées, ou suspendus telles des chauves-souris.
Dans l’alcool de l’exil, il y a des rêves de femme et tout un monde secret de chairs vulnérables.

Approchant Madrid, JM Ramirez-Suassi constate la mort progressive des animaux, et la présence de leur fantôme.
Ses images sont des lettres tracées sur le sol dans un labyrinthe personnel, fait de visages, noirs ou pâles, de carcasses de voitures, parfois brûlées, de musique froide et désespérée malgré la chaleur des rues.
Ses compagnons de vision sont des clochards, des relégués, des parias.

L’un porte la flamme olympique, c’est l’espoir de l’Europe nouvelle, pour l’instant cruelle et engourdie.
On dort, on se cache, on traîne, et l’on fait des vœux pour que le building là-bas (dernière image) ne soit pas un tesson de bouteille de plus sur le chemin de la liberté.
JM Ramirez-Suassi, One eyed Ulysses, Now Photobooks, 2018


