Je suis à prendre, une ode photographique à Pigalle, par Jane Evelyn Atwood

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© Jane Evelyn Atwood 

« Certaines, prises au piège dans un corps d’homme, voulaient être des femmes. D’autres se déguisaient en femmes pour gagner leur vie en se prostituant, pour imiter les femmes ou simplement pour jouer à en être une. »

Il faut beaucoup aimer les femmes, leur solitude, leur folie, leurs tourments, leur attentes secrètes, pour les regarder aussi bien, et participer avec elles à leurs errances nocturnes.

Pigalle People 1978-1979, de la photographe américaine Jane Evelyn Atwood, est certes un document historique sur le quartier des plaisirs parisiens (théâtres érotiques, salles de projection de films pornographiques, prostitution), mais surtout un formidable témoignage personnel sur la condition des transsexuels à l’orée des années Sida, qui feront bientôt de Pigalle le fantôme de lui-même.

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© Jane Evelyn Atwood 

Préférant aux tièdes la chaleur des marginaux et des relégués sociaux, Jane Evelyn Atwood s’est beaucoup intéressée aux femmes en prison, au monde de la nuit, et aux ouvrières du sexe, dans une approche de profonde solidarité.

La photographe n’est ainsi pas une passante faisant profession de son boitier de vision, mais en quelque sorte une participante, une amie, une sœur.

Si tant de transsexuels montrent ici leurs seins, ou laissent voir un téton, c’est que la poitrine formée est le symbole d’une victoire contre une assignation identitaire vécue comme oppressante.

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© Jane Evelyn Atwood 
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© Jane Evelyn Atwood 

Les avancées libertaires des années 1970 sont ici perceptibles, mais plus simplement l’envie de dire merde aux bourgeois en accueillant dans ses bras, et contre son sexe, le prolo en maraude, le petit vieux déclassé, les adolescents interloqués, le mari insatisfait, et parfois le ministre frustré.

Se poster, trouver une pose, séduire, montrer, parfois beaucoup, mais faire espérer davantage encore.

Du plaisir partagé ? La transsexualité est avant tout un voyage périlleux, une navigation impossible entre Charybde et Scylla, entre drogue et alcool, entre maladies sexuelles et tentatives de suicide, entre misère et meurtre.

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© Jane Evelyn Atwood 

Les képis surveillent, les hommes matent, les passes sont à cent francs pour tous, parfois un peu moins pour les jolis cœurs, mais les prix montent vite si vous souhaitez être fouetté ou dominé violemment.

Votre femme ne fait pas ça, nous oui.

Tiens, on passe Sophie, petite fille perverse, ça te dit d’entrer avec moi dans la salle où les odeurs de sperme se mêlent à celles des cigarettes ?qas

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© Jane Evelyn Atwood 

Le théâtre est un ring où les filles se déshabillent et font l’amour devant vous si le videur vous laisse entrer.

Dans le bar d’à-côté, les femmes jumelles frottent leurs manteaux de fourrure, font cogner leurs lunettes démesurément grandes, s’offrent leurs lèvres en riant.

Ces femmes si vivantes appartiennent pourtant déjà au pays de la mort, qui commence quand la possibilité d’amour n’est plus qu’un monde lointain.

Voilà ce qu’apporte la drôle d’Américaine à Paris, pouvant certes se soutenir de la force précaire de son appareil photographique formant lisière entre raison et déraison, entre empathie sincère et cri, l’émotion d’une fraternité inconditionnelle envers des êtres reconnus pleinement, sans jugement, dans leur condition de trans et de travailleurs du sexe.

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© Jane Evelyn Atwood 

Portes cochères, petits sifflements, discussions.

Chacun joue son personnage, et c’est très bien comme cela.

L’ange maudit a de petits seins et un sexe d’homme puissant, il vous propose un moment de perdition, un peu de volupté cachée.

« Quand en 1979, j’ai photographié les trans de Pigalle telles que je les ai vues, je n’ai pas pu capter leur vraie nature. Leur vie est difficile, elles sont ridiculisées, craintes, ostracisées, reléguées aux marges par la société. Et elles sont très compliquées. Il y a un chagrin au plus profond d’elles, trop profond pour être enregistré par un appareil photo, presque trop enfoui pour y accéder avec des mots. C’est intime et confidentiel, un secret même pour elles. »

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Jane Evelyn Atwood, Pigalle People, 1978-1979, texte de Jane Evelyn Atwood, édition bilingue anglais/français, Le Bec en l’air, 2018, 160 pages, couverture cartonnée demi-toilée, 70 photographies en noir et blanc

Exposition dans le programme officiel des Rencontres d’Arles 2018, du 2 juillet au 23 septembre 2018

Jane Evelyn Atwood est représentée en France par l’Agence VU’

Site de Jane Evelyn Atwood

Editions Le Bec en l’air

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Se procurer Pigalle People 1978-1979

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© Jane Evelyn Atwood 

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