Trouble every day, par Stéphane Mahé, photographe

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 © Stéphane Mahé

Il y a un mystère Stéphane Mahé, photographe parlant si simplement, si modestement, d’un travail remarquable.

Proche de la peinture, son univers esthétique est fait de touches de couleur, de négociations fines entre les ombres et les lumières, de silhouettes lointaines.

L’œil s’égare dans tant de volupté et de richesse chromatique.

Somewhere, son deuxième livre aux Editions de Juillet, accompagné une nouvelle fois d’un texte d’Arnaud Le Gouëfflec, propose à son regardeur une superbe désorientation, une errance dans des territoires oniriques, un vagabondage mental.

Les références se pressent, comme autant de repères très certainement inutiles.

Il faut face à ses images quitter les rives étroites du savoir, et plonger dans une matière de grande densité poétique, tout oublier pour tout ressentir à neuf.

Avec Stéphane Mahé, l’art est une forme d’allègement.

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 © Stéphane Mahé

Somewhere est votre deuxième livre après Terminus Saint-Malo (Les Editions de Juillet, 2014) avec le cosmographe brestois Arnaud Le Gouëfflec. Comment avez-vous rencontré son univers ?

J’ai lu par hasard un polar d’Arnaud, Mon nom est Person, une enquête menée par Léo Tanguy, qui se passe à Brest. Le ton du livre m’avait plu et le titre aussi. Je m’étais dit que si un jour j’avais la possibilité d’avoir un projet autour de la photo et de l’écriture, je penserais à lui.

Le temps a passé, le livre d’Arnaud était sorti de mon esprit car je l’avais prêté entre-temps. Au moment de la série Terminus Saint-Malo, que je voyais comme un polar, j’ai repensé à ce livre, mais ne l’ayant plus sous la main, je ne retrouvais pas le nom de l’auteur. C’est alors que, comme par enchantement, la personne m’ayant emprunté le livre me l’a rapporté. Voilà pour la petite histoire.

J’ai pris contact avec Arnaud par mail, je lui ai évoqué le projet de livre et d’écriture. Je lui ai envoyé les photos et indiqué que je sentais davantage une sorte de nouvelle-polar. Après avoir vu les photos, il a accepté.

Il a donc écrit en fonction des photos et non l’inverse. Ce qui est fort, c’est que l’on a très peu échangé. Je voulais en dire le moins possible pour lui laisser un maximum de liberté et il a écrit l’histoire que j’attendais sans qu’on en parle. Cela a tout de suite fonctionné.

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 © Stéphane Mahé

Comment travaillez-vous ensemble ?

Très simplement selon moi. Pour Terminus Saint-Malo, comme je l’ai expliqué précédemment. Pour Somewhere, de la même façon. Je lui envoyé mon projet et Arnaud m’a envoyé son texte. Quelques ajustements se sont faits ensuite, ce qui est normal car la série s’est étoffée et la maquette du livre aussi, mais tout s’est fait très naturellement et simplement.

On ne s’est rencontrés qu’en début d’année 2018, à l’occasion d’une séance photo pour la pochette de son album La faveur de la nuit que je trouve magnifique.

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 © Stéphane Mahé

Somewhere est-il un vaisseau fantôme ? un polar hitchcockien ? une peinture métaphysique à la De Chirico ? une cosa mentale ?

Somewhere est un cheminement…

Comment êtes-vous parvenu techniquement à rapprocher vos photographies de la peinture ?

Peut-être que la présence de granulation et mon approche de la couleur contribuent à ce rapprochement, c’est possible.

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 © Stéphane Mahé

Comment avez-vous traité le grain et la couleur ?

Eh bien, je règle mon boitier à minima, je n’interviens pas, notamment sur les réglages liés à ce que l’on nomme « réduction du grain numérique ». Je souhaite que la photo soit la plus « brute » possible et j’en ajoute ensuite si besoin au développement, car j’aime ce grain qui pour moi est de la matière.

Pour ce qui est de la couleur, je procède de manière empirique, par touches selon les photos, jusqu’à obtenir un résultat qui me parle.

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 © Stéphane Mahé

Sur la couverture toilée de votre livre apparaissent des silhouettes énigmatiques sur une grève, et l’on pense à la rencontre fantasmée d’un personnage de Jean-Michel Folon dans une toile de René Magritte inspirée par un bord de mer d’Eugène Boudin. Ailleurs, c’est le peintre Edward Hopper qui surgit.

Ce sont de belles références que vous invitez sur la couverture, du très beau monde, même si je ne connaissais pas avant que vous ne les citiez Jean-Michel Folon et Eugène Bodin. Et pour Magritte et Hopper, je ne connais pas tout de leur œuvre. Cette association me plaît beaucoup bien sûr.

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 © Stéphane Mahé

Votre intérêt se porte aussi sur les primitifs de la photographie. Qu’aimez-vous en eux ?

Sans doute le côté pionniers, curieux…

Vos personnages sont des figures lointaines photographiées généralement de dos, de profil ou en plongée. Pourquoi ces choix ?

Ce ne sont pas des choix même si oui finalement, puisque je les photographie. J’entends par là qu’il n’y a pas de mise en scène sur la quasi totalité des photos. Je « glane des instantanés », étant attiré par une couleur, une lumière, un décor dans lequel un personnage s’intègre. Les personnages sont en quelque sorte des marqueurs d’espace.

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 © Stéphane Mahé

Il y a dans vos photographies une sensation d’incommunicabilité, de solitude profonde rédimée par la beauté du monde, le miracle de la présence des choses. Qui êtes-vous lorsque vous photographiez ainsi ? Quel type de corps adoptez-vous lors de vos errances photographiques ?

Incommunicabilité et solitude ne sont pas forcément des mots que j’associe à Somewhere, mais j’y pense peut-être inconsciemment, je ne sais pas. La beauté du monde, le miracle de la présence des choses, oui, ça me parle comme tout un chacun. Ce que j’aime dans mes errances photographiques, comme vous dites, c’est la mise en disponibilité envers ce qui nous entoure, être au plus proche d’une certaine harmonie entre le moment, le lieu, se laisser « partir Somewhere »… C’est être comme absorbé, c’est une sorte de parenthèse temporelle. Ce que j’évoque n’est pas exceptionnel en terme de ressenti, chacun de nous vit des instants de la sorte, mais c’est juste pour suggérer l’état d’esprit dans lequel je peux être dans ces moments-là.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Stéphane Mahé, Somewhere, texte d’Arnaud Le Gouëfflec, Les Editions de Juillet, 2018, 76 pages – 37 photographies

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Stéphane Mahé, Terminus Saint-Malo, texte d’Arnaud Le Gouëfflec, Les Editions de Juillet, 2014

Site des Editions de Juillet

Exposition du travail de Stéphane Mahé, à la Maison des Associations de Rennes, du 5 juillet au 12 octobre 2018 ; à la Tour Bidouane de Saint-Malo (intra-muros), du 25 août au 30 septembre 2018 ; au Festival Photofolie de Thorigné-Fouillard (35), du 10 au 25 octobre 2018

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