
Revoilà Halogénure, et c’est une nouvelle fois un bain de jouvence, une source d’enchantements graphiques et de découvertes tous azimuts.
Qu’une telle revue puisse subsister et s’imposer dans le champ de la réflexion sur la photographie contemporaine possédant une vaste mémoire est une joie simple et vraie.
Halogénure est une tribu sauvage, des trognes d’irréductibles ne craignant pas le cannibalisme, des savants en tenue de camouflage, des frelons asiatiques faisant des ravages dans le petit monde de la photographie.


Dans son édito, Jean Fournier le dit sans ambages, Halogénure, c’est « l’amour du noir et blanc, l’amour du contraste, l’amour du grain, de la fragmentation, de l’imperfection, du malentendu fécond, de la dissolution des formes, de l’amour flou. »
« L’amour des planches-contacts et des tirages faits maisons, des pellicules clandestines et des chimies frelatées… bref, un retour à la photographie âpre qui sent la clope et le fixateur. »

Ici, ça respire large, ça gratte sur la rétine, ça fait bouillir les cervelets, ça démange dans le pantalon.
Ici, ça commence par un portfolio du disséminateur Ilias Georgiadis (Over / State), capturant sur le tableau noir de ses nuits blanches des corps en attente, en fusion, en extase. La déchirure tombe en flocons et porte des bas résille où glisser la langue.

L’envie est cinétique, les villes défilent, les visages, les arbres.
Tout est squelette et chair, tout est possibilité de rencontre et de miracle.
Mademoiselle se retourne, et transforme son soutien-gorge en nuage atomique.
Quel Circus n’est-ce pas ? C’est une proposition de l’Italienne Sabrina Caramanico, qui aime les autruches, James Ensor, et les coulisses des spectacles populaires.

Dans la grimace des fumées apparaissent des spectres clownesques, hideux, se moquant bien de nos prétentions de maîtrise quand la vie est tourbillon, chevaux cabrés, pure illusion.
La série de Sabrina Caramanico est superbe, qui laisse exploser en des cadrages certains de leur puissance le sourire ambigu de l’errant traversant la vie comme un funambule.

Toujours cherchant, toujours questionnant, Annakarin Quinto, initiatrice du passionnant leboudoir2.0, réfléchit aux « étranges performances du livre photographique » telles qu’inventées par des femmes libres, audacieuses, informées (début de liste à partir de la page 39), expérimentant de nouvelles formes de partages, ainsi la collectionneuse et critique Gabriela Cendoya mettant à la disposition du public, dans le cadre du Musée de San Telmo à Donostia, son impressionnante bibliothèque.
La démarche est généreuse tout autant que politique, invitant chacun à se dégager des stéréotypes de la communication marchande la plus commune/asservissante, pour la féérie d’une indépendance de regard foudroyante.

Il n’y a pas de liberté, mais des libérations, multiples, inattendues, protéiformes.

Voilà pourquoi Gil Barez, Andy Tierce, Mathieu van Assche, Simon Vansteenwinckel, Manu Jougla et Charles Camberoque aiment tant le carnaval, occasion de dépense, de gratuité, de souveraineté contagieuse, s’enthousiasmant dans la traversée de l’effroi, de la mort, et du rire à gorge déployée (ou dénudée) des rites de rassemblement échappant aux stratégies de contrôle.
L’enjeu est ici celui d’une insurrection spontanée, populaire, irrépressible.
Le cahier 2 d’Halogénure 4 est ainsi un éloge de l’innocence enflammée et de la beauté des corps se roulant joyeusement dans la boue loin de toute prétention à la respectabilité mortifère.

Tout ceci forme un VOO/DOO (Manu Jougla) sensationnel, tant nous avons besoin d’inventer de nouveaux exorcismes pour expulser de nos corps le cadavre que le gros animal social nourrit de ses peurs.
Le cahier 3 sera donc celui des bidouilleurs géniaux, des obstinés du laboratoire, des sorciers/sourciers de la photographie : Guillaume Zuili (que connaît L’Intervalle, il faut chercher un peu) regardant le parc de Joshua Tree comme un astronaute découvrant dans la nuit que la planète qu’il arpente est une succession de formes et d’organes à la Bellmer, Cédric Friggeri qui aime le jeu, les fantômes, les jolies femmes et tous les signes de l’étrange réalité, Jérémy Saint-Peyre, ce faucon maltais inventant des narrations elliptiques, et des châteaux au fusain de la chimie qui sont des vasques pour épancher les fantasmes de ses spectateurs.


Sabrina Biancuzzi a le dernier mot : « L’image absente, c’est ce reflet effacé dans le miroir. C’est ELLE, invisible mais pourtant si bruyante. », et l’on attend avec impatience la parution de son livre aux Editions nonpareilles en mars 2019, L’arcane sans nom.
L’arcane sans nom, qui pourrait être aussi le titre de cet article.
Halogénure, numéro 4, printemps/été 2018 – présentation sous forme de trois cahiers noir & blanc reliés par un bandeau

Halogénure, revue de photographie aléatoire
