

Dans Les Soliloques du Pauvre (1897), Gabriel Randon de St-Armand, alias Jehan-Rictus, imagine les paroles d’un clochard anarchiste.
C’est sous la protection de cet auteur au verbe brut et poétique que le photographe Manu Jougla place son ouvrage, K, consacré au beau chamboultou du carnaval des Gueux de Montpellier, dans une édition très arty (Le Mulet himself), liant son livre à celui des compères Gil Barez, Andy Tierce, Mathieu Van Assche et Simon Vansteenwinckel, S, Sauvage, immergés dans le Carnaval Sauvage de Bruxelles.
On peut prendre chaque ouvrage séparément, mais mieux vaut les frotter ensemble, les faire rire ensemble, les faire couiner ensemble.


C’est la nuit, les bourgeois sont couchés, on va pouvoir s’amuser.
Il n’y a plus de père, de mère, et même d’enfant qui tiennent, place à la libre expression des pulsions et au dérèglement de tous les sens.
On peut enfin être laid, être bête, et se mettre la tête à l’envers.


Les morts sortent de leurs tombes, les ténèbres sont en feu, on applaudit à tout rompre la vie pour la vie.
Il est temps de se débarrasser du vieux monde en soi, de briser les anciennes idoles pour en célébrer de plus profondes, de plus chtoniennes, en faisant couler l’alcool de bouche en bouche.
La musique est dans la rue, en peau de léopard et nez de clown, en masques de zombis et capuches de prêtres défroqués.


Le carnaval, c’est de la sidération, de la démesure, de la vitesse, l’effacement des repères.
Dans les photographies en noir & blanc de Manu Jougla, les corps ne subsistent parfois plus qu’à l’état de traces, de vestiges, de pures boules d’énergie rémanente.
S, Sauvage invite à son tour à entrer dans la danse, totalement, sans complexe, dans la joie du désordre.
C’est le moment de se défouler, de se dépenser sans compter, de faire peur aux assis.


Sortez la corde des pendus, écrasez les canettes de bière, « nos libertés commencent où l’Etat nous arrête ».
Dionysos porte une combinaison simiesque, et c’est la mêlée de tous les peuples en un même déchaînement de cris, de chants, de gestes incontrôlés.
Les voici en manteau de fausse fourrure, les sieurs Gil Barez, Andy Tierce, Mathieu Van Assche et Simon Vansteenwinckel, bien alignés face au canal, pissant comme des sales mioches sur les reflets de Bruxelles la belle retrouvant enfin sa vraie nature de grande indocile.

Pour publier une telle farandole d’images en folie, il fallait bien l’excès de générosité d’un Mulet en rut, et c’est merveilleux.
Gil Barez, Andy Tierce, Mathieu Van Assche, Simon Vansteenwinckel, S, Sauvage, éditions Le Mulet, collection Sabbat, 2018 – 100 exemplaires
Manu Jougla, K, éditions Le Mulet, 2018 – 100 exemplaires