

Dans l’ordre des fables, on connaissait L’arbre, le maire et la médiathèque d’Eric Rohmer (1993). Il y a maintenant la triade de la photographe Florence Chevallier, exposée jusqu’au 6 janvier au Centre d’Art Contemporain de Saint-Pierre de Varengeville près de Rouen (emblème de la politique de mécénat de la Matmut), Les Fleurs, le Chien et les Pêcheurs.
Il y a trinité, comme il y a fascination pour les ventres chez cette artiste cofondatrice du groupe Noir Limite (1986-1993), qui envisageait le corps et la sexualité dans sa part maudite et superbe, animale, violente, sacrificielle.
Même quand ils ne sont pas explicitement montrés, les ventres constituent, métaphoriquement, le centre de gravité des images et de la pensée de Florence Chevallier, parce qu’ils sont l’origine du monde et qu’ils enfantent, parce qu’ils sont une petite planète vivante, parce qu’ils sont drôles, parce que dans leur lourdeur même ils restent bouleversants.


Composé de photographies issues de nombreuses séries, Les Plaisirs, Casablanca, Des journées entières, Eloge de la réalité, son livre/exposition est une ode à la lumière transfiguratrice, qu’elle touche un mur de brique, un champ, des corps à la plage, des tapis, des filets de pêcheurs.
Comme chez Renoir, père et fils, elle est une dimension du Saint-Esprit partant de la nature et allant à la nature dans un flux de douceur emportant chaque être et objet du monde.
Chez Florence Chevallier, les annonciations sont à peine voilées. Ses images sont heureuses d’être enceintes, qu’il s’agisse d’une corniche de bord de mer, d’un arbuste de terrain vague, ou d’une femme à l’âge de la ménopause, cet état de corps fécond étant davantage de l’ordre d’une puissance de création que d’une cathédrale organique soumise à l’horloge biologique.


La photographe rassemble des fragments du monde comme on traverse le temps en n’en gardant que la dimension de volupté, jusque dans les difficultés perceptibles çà et là.
La mélancolie pointant dans son regard est immédiatement rédimée par l’incroyable beauté de la nature et tout simplement de l’existant.
Le monde est ainsi embrassé, sans reste, parce que si tout est précaire, tout est néanmoins ordonné.


Et si tout est chiffonné, comme des tissus accumulés, il faut la grâce d’un Pontormo, ou d’une photographe ayant étudié les vertiges de la peinture baroque, pour en débrouiller le sublime (voir aussi le livre Toucher terre, éditions Loco, 2014).
La vie est un théâtre, qui est un songe, qui est une suite de photographies issues de l’inconscient d’un boitier de visions redonnant au fil des jours sa part de mystère originel.


Florence Chevallier regarde le monde comme s’il était sauvé, et nous renvoie au temps de l’innocence, qui n’est pas un ailleurs, mais la dimension permanente d’un indemne que les puissances de mort nous empêchent de voir.

Florence Chevallier, Les Fleurs, le Chien et les Pêcheurs, texte de Lucile Encrevé, Bernard Chaveau Edition, 2018


Exposition éponyme au Centre d’Art Contemporain de Saint-Pierre de Varengeville (Normandie) jusqu’au 6 janvier 2019




En cela cher Fabien vous êtes dans la même pensée que Eric Cez des éditions LOCO , car c’est cet état des hommes et femmes enceints qui l’avaien marqué.
Merci pour ce beau texte si prompt et si juste.
À bientôt
Florence
J’aimeJ’aime