Le formalisme, c’est l’essentiel, par Jan Groover, photographe

tMqNh1M4.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1975 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Dans l’histoire de la reconnaissance institutionnelle de la photographie en couleur, l’Américaine Jan Groover (1943-2012) a joué un rôle important au travers de ses natures mortes, développées selon des procédé de la fin du XIXe siècle, notamment le platine-palladium.

On connaît mal de ce côté-ci de l’Atlantique son œuvre habitée par la question du formalisme, que l’on peut découvrir aujourd’hui dans une exposition de grande ampleur au Musée de l’Elysée de Lausanne, accompagnée d’un catalogue conçu sous la direction de Tatyana Franck, directrice du lieu.

LXitqCYR.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1975 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Une artiste de nécessité est redécouverte, c’est une joie, le musée de l’Elysée ayant eu l’honneur d’accueillir le fonds d’atelier de Jan Groover dans ses collections, suite à une donation faite par son époux en 2017.

Très éloignés de l’esthétique documentaire, notamment du photojournalisme, les travaux de Jan Groover sont une recherche constante, non dénuée d’un humour très fin, sur la façon dont s’organisent dans l’espace les corps et les objets.

tZ543W4M.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1977 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Ses mises en scène relèvent tout à la fois de l’histoire du surréalisme, de la nature morte classique, des expérimentations de Man Ray et de la peinture méditative de Giorgio Morandi, son œuvre se déployant entre les polyptiques des années 1970 (des voitures, des immeubles, la rue) et les assemblages des années 1980, selon un principe très musical de répétitions et de variations.

Les photographies de Jan Groover n’ont rien de servantes (pas de reproduction naïve de la réalité), ce sont des inventions de mondes, des constructions totales.

mPTXYL1r.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1989 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Elles aimantent le regard, et, dans leur silence même, sont tendus de chants polyphoniques, les objets échappant à leur usage ordinaire pour entrer en conversation dans une langue inconnue du regardeur, invité à contempler le spectacle fascinant de leur forme ou pure présence.

S’imposent la rigueur de leur être et le drolatique de l’existant.

qmaJTLKj.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1978-1979 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Une vache – à peine une vignette – est montrée deux fois, corps effacé quasi totalement par une étiquette blanche pour la deuxième. Même procédé avec la petite tache d’un avion dans le ciel.

C’est cruel, amusant, enfantin, et de grand enseignement quant à notre croyance naïve dans le visible.

A l’heure de l’ouverture des archives, aucune raison de bouder son plaisir devant ce que l’on ressent comme une urgence et un plaisir de recherches, menées en des expérimentations multiples sur la fragmentation, le discontinu, la fuite du temps et la persistance des choses.

aaz6QtOJ.jpeg
Jan Groover, Sans titre, sans date © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Ses épreuves issues de classeurs montrant des voitures isolées garées de toutes sortes de façons sont les tessons d’une mosaïque moderne tendant vers l’abstraction.

L’ensemble est très dynamique, jubilatoire même, danse de petites folies humaines répondant tels des automates à la pure mécanique du vivant.

Se consacrant à partir de 1978 au genre de la nature morte, Jan Groover invente un vocabulaire esthétique – sorte de « nouvelle Objectivité » redoublée – qu’elle ne cessera dès lors de préciser, de varier, de redéployer : « Glissement du réel vers le signe, analysent Tatyana Franck et Paul Frèches, citations postmodernes, passerelles vers d’autres médias, au premier rang desquels la peinture, mais aussi la sculpture et l’installation par un recours à des mises en scène de plus en plus élaborées. »

_1jEToO5.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1994 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Surprésences des fourchettes et des feuilles d’arum, des couteaux et des marcs de café, des poivrons et des moules à gâteaux, jusqu’au portrait d’une balle de base-ball en Joséphine Baker, beauté rieuse au centre d’un aéropage de bananes lancées dans l’espace telles des naïades de Busby Berkeley.

Jan Groover s’amuse en bousculant les ordres de vision, ses portraits des années 1980 relevant tout à la fois de l’inquiétante étrangeté et de l’innocence des corps dans l’espace.

Dans un très beau texte sur sa compagne, Bruce Boice écrit : « Le problème de Jan avec les collectionneurs, les critiques et les amateurs de photographie, c’est qu’elle refusait l’idée que tout doive absolument avoir un sens ; or, il semble que tout le monde veuille trouver du sens. »

Merci chère Jan Groover d’avoir su égarer le parapluie.

csm_couv_Groover_FR_OK_bae042acdc

Jan Groover, photographe, Laboratoire des formes, sous la direction de Tatyana Franck, textes de Tatyana Franck, Paul Frèches, Emilie Delcambre Hirsch, Bruce Boice, Sarah Hermanson Meister et Paul Maynés Tolosa, éditions Noir sur Blanc / Musée de l’Elysée de Lausanne, 2019, 192 pages

Site des éditions Noir sur Blanc

6DT94IWA.jpeg
Jan Groover, Sans titre, ca. 1985 © Musée de l’Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Ouvrage paraissant à l’occasion de l’exposition éponyme au Musée de l’Elysée à Lausanne – du 18 septembre 2019 au 5 janvier 2020

Musée de L’Elysée

 

main

Se procurer Jan Groover, Laboratoire des formes

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s