Les fleurs hermétiques du cante jondo, par Federico Garcia Lorca, poète assassiné

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Au commencement était le chant.

« Les vieilles gens emportent dans leur tombe les trésors inestimables des générations passées, et l’avalanche grossière et stupide des refrains actuels altère la délicieuse ambiance populaire de toute l’Espagne. »

La publication en volume bilingue de la magnifique conférence prononcée en 1922 au Centre Artistique de Grenade par Federico Garcia Lorca sur le Cante jondo est l’une des meilleures nouvelles de cette rentrée infernale et fausse – y en aura-t-il jamais d’autres ?

Il s’agit plus qu’un discours prononcé devant un auditoire fasciné par la prestance du poète, c’est un cri d’indignation, de révolte, contre un art mal compris, une défense absolue de l’âme du peuple andalou, de son identité profonde.

C’est à Grenade, précise dans son excellente préface Line Amselem, que Garcia Lorca rencontre le compositeur Manuel de Falla, originaire de Cadix, avec qui il se lie d’amitié, tous deux décidant d’organiser un concours de chant dans l’enceinte de l’Alhambra – compétition entre cantaores de tous âges dont on retrouve des traces dans l’œuvre de Georges Bataille : « Le projet vise à préserver les formes premières du chant andalou, mieux gardées dans les campagnes que dans les grandes villes où il serait dégradé dans des cabarets. Lorca oppose ainsi le cante jondo pur au flamenco qui en serait la forme frelatée. »

Conscient de l’enjeu historique de sa conférence, Lorca rappelle le lien historique existant entre l’Orient indien, voire persan, et le cante jondo, un art selon lui abâtardi dans les cabarets vulgaires par des chanteurs sans culture ou scrupule.

« Les différences essentielles entre le cante jondo et le flamenco tiennent au fait que l’origine du premier est à rechercher dans les systèmes primitifs de l’Inde, c’est-à-dire dans les premières manifestations du chant, tandis que du second, qui découle du premier, on peut dire qu’il acquiert sa forme définitive au XVIIIe siècle. »

Proche du chant des oiseaux, et des musiques naturelles, profondément panthéiste, le cante jondo est de l’ordre d’une expression primitive, intacte, sauvage et hautement civilisée.

C’est une déchirure, une source ardente et fraîche, un délire.

« La phrase mélodique fend peu à peu le mystère des tons et fait apparaître la pierre précieuse du sanglot, larme sonore sur le fleuve de la voix. Mais aucun Andalou ne peut se soustraire à l’émotion du frisson lorsqu’il écoute ce cri, et aucun autre chant régional ne peut s’en rapprocher en grandeur poétique. »

Porté et révélé par les tribus gitanes, fuyant l’Inde, persécutées par les cavaliers du Grand Tamerlan en l’an 1400, ce chant antérieur au langage correspond au lyrisme pur, tel que pensé par Jean-Michel Maulpoix dans son œuvre princeps, La voix d’Orphée (éditions José Corti, 1989).

 S’élève dans le vent du soir et la nuit bleue de la campagne une psalmodie, un sanglot, une jouissance : est-ce chant d’homme ou d’arbre ?

Debussy était fou des cantaores andalous, et de leur capacité à exprimer à la fois la peine et l’amour, l’amour et la peine en des poèmes de quelques vers bouleversants.

« Dans certaines coplas la vibration lyrique se place à un degré où seuls de très rares poètes parviennent à se hisser. (…) Nous sommes un peuple triste, un peuple extatique. »

Des larmes coulent dans l’Albaicin, où l’on entend : « Si jamais je mourais, écoute-moi bien, / je veux que des tresses de tes cheveux noirs / tu m’attaches les mains. »

Connaissez-vous rien de plus beau ?

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Federico Garcia Lorca, Le Cante jondo, traduit de l’espagnol et précédé de Grenade, 1922 : la profondeur de l’épure, par Line Amselem, éditions Allia, 2020, 96 pages

Editions Allia

d

Se procurer Le Cante jondo

 

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