© Delphine Parodi
« Depuis, les cerisiers fleurissaient comme jamais. / Les gens disparaissaient avec leur fierté. / Flore tombe à genoux, / elle prie pour le silence qui fit fondre son cœur. » (Yoko Tawada)
Exposée au centre culturel japonais de Berlin et au festival international de photographie Kyotographie, à Kyoto, la série Out of sight, de la Marseillaise Delphine Parodi, est un regard éminemment délicat sur une catastrophe industrielle majeure et le retour de la vie après un drame écologique aux conséquences incalculables.
© Delphine Parodi
Vivant et travaillant à Tokyo depuis 2010, ayant suivi de très près les évolutions de l’accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011, la photographe a bâti un livre composé de diptyques, entre paysages intimes et portraits d’habitants.
Les visages sont inquiets, la menace plane. Pourtant, tout est très doux, paisible, le cycle des saisons est imperturbable, dans le mal advenu.
© Delphine Parodi
L’image de couverture montre des enfants regardant de l’intérieur de leur logis un poissant flottant, ou un dragon. Ce pourrait être un plan d’un film de Kore-eda, cinéaste de l’intime, du non-spectaculaire, d’une fiction se rapprochant parfois du documentaire, esthétique consonnant avec celle de Delphine Parodi.
Accompagné de vingt-quatre poèmes inédits de la romancière et essayiste Yoko Tawada, Out of sight est un livre conçu comme un éveil de la conscience, de la sensibilité, de l’intelligence, sans tonitruance.
© Delphine Parodi
Parce que Fukushima, loin de n’être qu’un événement du passé, est aussi notre avenir, et notre présent contaminé.
Une mère regarde son enfant : que lui dire ? les fleurs voisines sont belles, mais faut-il s’interdire de les cueillir ?
Déjeuner sous la frondaison des arbres du parc est-il désormais interdit ?
Et le lait maternel, le nuage si beau, l’eau du robinet ?
© Delphine Parodi
Le sens réside dans le clair-obscur, dans les profondeurs du doute, comme dans la profusion de vie et la capacité d’adaptation des végétaux.
Mais, « Plus jamais l’homme ne mangera son riz à lui, / Cinquante années à pratiquer l’alchimie des céréales. / Comme l’océan, il donnait du sel aux épis. / Enfant, il observait heure après heure / les pousses verdir, les épis se dorer / après que la mer les eut arrosés. »
La lumière est superbe sur la région du Tohoku, il faudrait pourtant peut-être fuir encore.
© Delphine Parodi
Qui peut savoir les tourments qu’engendreront les nouvelles marées ?
Que disent les petites filles de la béance en leurs conciliabules ?
Et les esprits des morts ?
« Sur l’arrière d’un camion bleu, / Entre deux haches se tient la fillette. / Avec le mouchoir de son triomphe / elle fait signe à sa mère inquiète. / Les myrtilles envahissent le jardin de son oncle. / Il parle à l’orage qui arrive, / déjà pointe la tête écailleuse d’une asperge. »
© Delphine Parodi
Le maître de la cérémonie du thé n’a jamais vu cela, une nature si épanouie.
Pourtant.
Toutefois.
Cependant.
Qui ira de nouveau pêcher du côté des rizières ?
Pourquoi le prêtre shintoïste est-il si taciturne ?
Qui guidera les écoliers dans le labyrinthe du maléfice ?
© Delphine Parodi
Un habitant : « Ma famille avait des champs de riz à Tomioka, juste à la limite de la zone d’évacuation. Le goût de la première récolte – le riz nouveau – est quelque chose que j’attendais chaque année, mais je ne pourrai plus jamais en faire l’expérience. »
Désormais, la banalité elle-même est devenue suspecte, comme la beauté.
Delphine Parodi, Out of sight, textes Yoko Tawada (en français, anglais, allemand, japonais), Le Bec en l’air, 2020, 208 pages, 52 photographies en couleur
Out of sight vient d’obtenir le prix HIP catégorie nature et environnement