
Berlin, Belfast, Budapest, Cologne, Le Havre, Londres, Rotterdam, La Haye, Sarajevo, Varsovie.
Des villes marquées par l’Histoire.
Une guerre en cours.
De la violence passée affectant le présent.

Les signes sont parfois ténus, une barre de fer tordue, une clôture un peu plus haute, plus menaçante, plus sécurisée encore que les autres.
Cette recherche quasi graphique, à la limite de l’abstraction, concernant la mémoire urbaine d’actes agressifs est l’objet du livre de Bertrand Cavalier, Concrete doesn’t burn.
Ponctué de pages blanches comme autant de silences, ou d’instants de sidération, ce livre est un bloc visuel à la fois transparent et énigmatique.

Il faut prendre le temps d’observer, d’entrer dans l’image, de repérer là une caméra de surveillance, là des mégots, là des cailloux contre le plaqué-marbre.
Un homme est assis dans un canapé, commotionné, interdit, muet.
Qu’a-t-il vu ? Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-ressenti de si effroyable ou glaçant ?

Des escaliers de fer, dont les marches en zigzag indiquent un chemin de lecture non linéaire, de traverse.
Des blocs de béton enchevêtrés tel un casse-tête géant – la métaphore cogne.
Le visage d’une sorte de bouddha postmoderne maculé de taches de peinture.
Une affiche contre le fascisme.

Des points de tension.
Des murs.
Une coiffure rebelle.
Il y a danger, menace, risque de chute.
La ville montre ses crocs, qui craint le débordement, la colère des peuples, la révolution, comme ces feuilles dégueulant du réservoir sensé les contenir.

Chacun sa place, chacun son coin, chacun sa niche.
Barricadez-vous, baissez les rideaux de fer, fermez les fenêtres.
Dans la rue, là, sous vos toits, une émeute se prépare.
Le mur est troué, les carreaux de mosaïque tombent les uns après les autres.

La beauté de la ferronnerie ne cache la fonction de l’atroce cage repoussant les sans-abris.
Les misérables ne supportent plus le mépris des nantis, ceux qui savent, qui ignorent pourtant presque tout du porte-monnaie vide dès le milieu du mois, et des parois de verre brûlantes.
Concrete doesn’t burn est un livre politique, enragé sous le calme souverain des structures géométriques qu’il expose.
Les formes que nous donnons aux lieux que nous habitons, les formes qui nous sont imposées, sont des patterns psychologiques : des angles droits, des couloirs froids, des meurtrières, des barrières, constituant le décor de nos vies, peuvent également signifier l’horizon de notre destin.
S’achevant sur une alternance de pages noires et blanches, surtout blanches, le livre de Bertrand Cavalier est un rapport sur la banalité du mal, et un geste d’artiste proposant un renversement du regard.
Bertrand Cavalier, Concrete doesn’t burn, design by Hans Gremmen, Fw :Books, 2020, 160 pages


Bertrand Cavalier expose son travail à l’Atelier Plateau (Bruxelles), du 10 décembre 2021 au 10 janvier 2021