Pont d’ombres, sur une photographie de Régis Feugère, par Julie Nakache, écrivain

le

Reėgis-FeugeĖre-05

 © Régis Feugère

« S’ils veulent devenir peinture, les paysages vivent de nos mensonges et de nos souvenirs. »

Je ne connais ni l’écrivain Julie Nakache, auteure de quatre romans depuis 2010 (Il neige un peu de lui sur le seuil où elle attend, Portraits au visage manquant, Le reflet des méduses, Une nuit noire et longue), ni le photographe Régis Feugère, mais leur rencontre organisée par Serge Airoldi, pour les éditions artisanales Les petites allées, sur un ouvrage d’art construit sur la Charente, est une véritable réussite.

La sensibilité des phrases épouse la délicatesse onirique de l’image.

Des brumes, le miroir d’une eau étale, les montants d’un pont comme les piliers d’un temple shinto.

On vénère probablement ici le kami du fleuve, les aigrettes le savent, ainsi que les brochets, peut-être moins les hommes oublieux du sacré.

Le paysage est d’un calme profond, la paix qu’il offre est un refuge.

On prend le temps de regarder, on prend le temps de lire, on prend le temps de respirer. Le mal recule, l’espace s’agrandit, l’art est une guérison.

Nous sommes entrés dans le monde flottant, où se disposent sans heurt les dix mille choses.

La mémoire est une moire où glissent des barques de mélancolie.

Nous traversons des seuils, des arches, des bosquets, guidés par les anges, l’instinct, ou le désir de retrouver une aimée.

Le passeur dort encore parmi les sénevés, il ne faut pas le brusquer.

L’attente est propice ; qui écrit est un nocher : « Le pont enchevêtre les marais et les forêts sombres, les arbres et les pensées, les rêves et les roseaux. Il plie vers la nostalgie, erre en terre de poésie, aqueduc joyeux ou entre-monde dans lequel se déploient les songes. Mes fantômes y cheminent et ma folie, aussi, parfois. »

Le paysage est muet, ou peut-être seulement taciturne.

Du pont de France, Julie Nakache observe le val vertigineux de Constantine, où grandit son père, et le vieil Ovide exilé à Tomis, en Scythie mineure, par l’empereur Auguste, dans le delta du Danube.

Comment écrire sans rompre les ponts ?

Comment écrire sans leur assise ?

Comment traverser le labyrinthe du temps sans se perdre dans les limbes de l’esprit ?

couv_pont

Julie Nakache, Pont d’ombres, sur une photographie de Régis Feugère, Les petites allées, 2021, 28 pages – 200 exemplaires numérotés

Les petites allées – boutique

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s