Hep mes mains l’abeille, un chant d’amour, par Stacy Doris, poète

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©Anne-Sophie Costenoble 

« Hep mes mains l’abeille / rends-les moi je t’aime / – temps qui passe ? Mince / temps n’est pas voulu / pas manger veux pas / dis tiens pour prends, va »

Ecrits peu avant sa mort à cinquante ans, en 2012, adressés en premier lieu à son mari aimé Chet et ses deux enfants en bas âge, les poèmes de Mue, de Stacy Doris, sont bouleversants.

Traduits de l’américain par Pierre Alferi et Anne Portugal, ce sont des strophes courtes de six syllabes en langue originale, cinq en français où l’hexamètre est peut-être trop confortable, rassemblées en un recueil présenté ainsi : « Tout le volume fonctionne par paires contiguës, par effets de ressemblance ou dissemblance qu’il s’agit souvent de distinguer ou de superposer. De plus, chacun de ces binômes est traversé par la fracture de la maladie, par la souffrance et par la difficulté pour Stacy, déchirée entre l’avant et le dès-lors, de s’ajuster à un présent si mince : ‘ma façon d’être autre/ment, si autrement.’ »

Intitulé en anglais Fledge, soit l’apprentissage du vol par les oisillons – indiquant donc l’acceptation de la loi du départ -, Mue est composé essentiellement de monosyllabes fouettant l’air comme autant de battements d’ailes.

Il s’agira, mais sans trop le dire, de relire avec attention La phénoménologie de l’esprit, de Hegel, pour en déconstruire souplement, au sentiment amoureux, la structure dualiste.

Il faut du continuum, du flux, une non-séparation entre les vivants et les morts, les vagues du lait des jours bues ensemble le plus longtemps possible.

Se dire adieu comme on se dit bonjour, tiens, tu as vu le chat, là, et là aussi le poumon abîmé, tressons-nous encore.

Cueillons tous les deux les dernières poires de la saison, c’est un remède contre la toux.

Extase de lumière, noyade, confiance des dents de toi le loup : « Viens voir mon bout mon / bout fait du bruit mon / bout fait ce bruit dans / ce brin court lasso / qui dehors te tire / quand tu pinces noies / des fourmis se massent / en file hurlements / faits par toi j’ai nacre »

L’érotique est une boisson de toi, de moi, de nous : « je prends tout ce que / tu gobes au vol / tu peux mater. »

On se croît, on se langue, on se vit à cru, emportement de la crue.

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©Anne-Sophie Costenoble 

Il te reste combien de sable, toi ?

Tu en es où de ton radeau ?

Lis-moi, délie-moi, ton orteil m’enjambe.

« Eh regarde ah j’aime / ça j’aime ça j’aime / j’adore et je vais / l’embellir encore »

Vivons-la la vie capricante, à deux, à quatre, à trois, à deux, seul.

Le souffle se coupe, goutte à goutte, il me faut ton contact, ta rame, ta main, ton .

Donner une comptine aux enfants, un cadeau d’envol : « Tu tries chaque instant / pimpant féal, quand / quoi fait bisous / mûri creux frivole / compte sur gâteau / du dessous nous lance / qui suçote oublie / le bout mouillé ? Donc // je balance tout / et tout resurgit / doudou sous la main / l’inerte c’est quoi ? / des vis vite éteintes »

On ne chante plus, mais on veut le chant, elle est arrivée, il est arrivé, qui nous aspire, nous jette, nous projette, nous dégoûte, nous aime, nous adore même.   

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Stacy Doris, Mue, traduit de l’américain par Pierre Alferi et Anne Portugal, P.O.L., 2021, 110 pages

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©Anne-Sophie Costenoble 

P.O.L. éditeur

Merci à Anne-Sophie Costenoble pour ses merveilleuses photographies

Anne-Sophie Costenoble – site

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  1. encore une découverte pour moi, merci beaucoup.

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